Résumé :
- Rodolphe Saadé, 5ème fortune de France, a investi plus de 1,7 milliard d’euros dans les médias (La Provence, Corse Matin, BFMTV, RMC) depuis 2022
- Le rachat d’Altice Media (BFMTV, RMC) pour 1,55 milliard d’euros propulse son groupe comme un acteur médiatique majeur en France
- Des engagements d’indépendance éditoriale ont été pris, mais des inquiétudes persistent
- Des défis financiers et sociaux majeurs attendent le nouveau groupe, notamment à La Provence
- Saadé affiche des ambitions de développement en France et à l’international
L’ascension fulgurante de Rodolphe Saadé dans les médias
Rodolphe Saadé n’est pas un nouveau venu dans le monde des affaires. Héritier de l’empire CMA CGM, premier armateur français et troisième mondial, il a su faire fructifier l’héritage familial. Avec des profits atteignant les 25 milliards de dollars en 2022, Saadé s’est hissé à la cinquième place des plus grandes fortunes françaises selon le classement Challenges, avec un patrimoine estimé à 39 milliards d’euros.
Mais c’est en août 2022 que Saadé décide de sortir des eaux du transport maritime pour voguer vers de nouveaux horizons : les médias. Une décision qui peut surprendre, mais qui s’inscrit dans une stratégie de diversification et d’influence.
Le premier coup d’éclat de Saadé dans le monde des médias fut le rachat du groupe La Provence, incluant les quotidiens régionaux La Provence et Corse-Matin, pour la coquette somme de 81 millions d’euros. Une opération qui ne s’est pas faite sans heurts, nécessitant notamment des négociations serrées avec Xavier Niel, déjà présent au capital.
Mais Saadé ne s’est pas arrêté là. Il a ensuite mis la main sur La Tribune, un média économique de renom, et lancé dans la foulée La Tribune Dimanche. Parallèlement, il a pris des participations dans le groupe M6 (10% du capital) et dans le média vidéo en ligne Brut (15% du capital).
Le coup de maître est venu en juillet 2024, avec le rachat d’Altice Media, maison mère de BFMTV et RMC, pour la somme astronomique de 1,55 milliard d’euros. Une opération qui a fait l’effet d’un séisme dans le monde des médias.
En l’espace de deux ans à peine, Rodolphe Saadé a ainsi constitué un véritable empire médiatique. Sa holding Why Not Media, qui ne pesait « que » 78 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023, va se retrouver propulsée dans la cour des grands avec l’absorption d’Altice Media et ses 362 millions d’euros de revenus annuels.
Cette ascension fulgurante pose néanmoins de nombreuses questions. Comment Saadé compte-t-il gérer cet empire ? Quelles sont ses ambitions réelles ? Et surtout, quelles conséquences pour l’indépendance de l’information ?
Les enjeux du rachat d’Altice Media
Le rachat d’Altice Media par CMA CGM n’est pas une simple transaction financière. C’est une opération qui rebat les cartes du paysage médiatique français. Avec ce rachat, Rodolphe Saadé met la main sur des actifs stratégiques : BFMTV, l’une des premières chaînes d’information en continu de France, RMC, radio d’information et de talk, ainsi que les chaînes RMC Découverte et RMC Story.
Pour Patrick Drahi, le vendeur, cette cession permet de se désendetter partiellement, lui qui croule sous une dette de 60 milliards d’euros. Pour Saadé, c’est l’opportunité de se positionner comme un acteur majeur de l’information en France.
Face aux inquiétudes légitimes suscitées par cette concentration des médias, Rodolphe Saadé a multiplié les promesses. « Je n’interviendrai pas dans la ligne éditoriale« , a-t-il notamment déclaré lors de son audition devant l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel.
Le milliardaire s’est également engagé à donner à BFMTV et RMC les « moyens de se développer ». Son ambition affichée ? Faire redevenir BFMTV la première chaîne d’information, alors que celle-ci a récemment été dépassée par CNews en termes d’audience.
Malgré ces promesses, les inquiétudes restent vives parmi les salariés d’Altice Media. Pour tenter de les apaiser, une prime exceptionnelle de 3000 euros bruts a été promise avant la finalisation du rachat.
Des engagements ont également été pris auprès de l’Arcom et de l’Autorité de la concurrence, notamment concernant le pluralisme, l’honnêteté et l’indépendance de l’information. Une charte d’indépendance éditoriale et de déontologie a même été signée à La Provence en juin 2024.
Un milliardaire DISCRET est en train de racheter TOUS les médias français !
— MoneyRadar (@MoneyRadar_FR) August 26, 2024
Vous ne connaissez pas Rodolphe Saadé ?
Pourtant, il contrôle déjà BFM, RMC, La Provence…
Les chiffres ne mentent pas…👇🧵 pic.twitter.com/Tl1ELgjueh
Mais ces garanties seront-elles suffisantes ? La question reste posée, d’autant que Saadé a également demandé que les médias du groupe n’aient pas « une attitude agressive vis-à-vis de l’actionnaire« . Une déclaration qui n’a pas manqué de faire tiquer les observateurs.
Les défis à relever pour le nouveau groupe
Si le rachat d’Altice Media fait de Saadé un acteur majeur du paysage médiatique français, il hérite également de situations financières parfois délicates. La Provence, par exemple, a enregistré des pertes d’exploitation de 12,5 millions d’euros en 2022 et 9 millions en 2023.
Le défi pour Saadé sera donc de redresser la barre, tout en préservant l’intégrité éditoriale de ses médias. Un exercice d’équilibriste qui s’annonce délicat.
L’arrivée de Saadé dans les médias ne s’est pas faite sans heurts. En mars 2024, les journalistes de La Provence ont fait grève pendant 72 heures, protestant contre la mise à pied du directeur de la rédaction suite à une Une jugée « ambiguë » par la direction.
Mais la concurrence est rude, et le paysage médiatique en pleine mutation. Entre la montée en puissance des plateformes numériques et l’évolution des habitudes de consommation de l’information, Saadé devra faire preuve d’agilité et d’innovation pour maintenir et développer l’audience de ses médias.
Les ambitions futures de Saadé dans les médias
Pour Rodolphe Saadé, le rachat d’Altice Media n’est que le début de l’aventure. Le milliardaire a clairement affiché son intention de développer BFMTV et RMC, ses nouvelles pépites médiatiques.
Cela passera sans doute par des investissements dans les contenus, mais aussi par une stratégie de diversification. On peut imaginer un renforcement de la présence numérique, le développement de nouvelles émissions, voire le lancement de nouvelles chaînes thématiques.
Mais les ambitions de Saadé ne s’arrêtent pas aux frontières de l’Hexagone. Le PDG de CMA CGM a évoqué la possibilité d’acquisitions à l’étranger, dans le but de bâtir « un groupe média de premier plan » à l’échelle internationale.
Cette stratégie d’expansion pourrait passer par des rachats de médias étrangers, mais aussi par le développement international des marques existantes. On peut par exemple imaginer une déclinaison de BFMTV à l’étranger, sur le modèle de France 24 ou CNN International.À plus long terme, la vision de Saadé semble être celle d’un groupe média diversifié et puissant, capable de peser sur l’opinion publique tout en restant rentable. Un pari ambitieux, qui nécessitera des investissements massifs et une stratégie fine. En espérant que la promesse d’indépendance éditoriale sera respectée…