Cela fait maintenant plus de deux ans que les chars russes ont franchi la frontière ukrainienne, déclenchant un séisme géopolitique dont les répliques se font encore sentir aux quatre coins du globe.
Face à ce qu’il considère comme une intolérable provocation, l’Occident dégaine aussitôt son arme fatale : les sanctions économiques. Gel des avoirs, exclusion du système Swift, embargo sur les hydrocarbures… Tous les coups sont permis pour mettre Poutine à genoux.
Oui, mais voilà, l’ours russe est plus résistant que prévu. Tel un punching-ball, il encaisse les uppercuts les uns après les autres, vacille parfois, mais reste debout. Pire, il semble même reprendre du poil de la bête au fil des rounds, comme dopé par les coups reçus. Pendant ce temps, c’est l’Ukraine qui tangue dangereusement, au bord du KO économique.
Alors, stupeur dans les casinos de Wall Street et les palais de Bruxelles : et si Poutine avait en réalité un coup d’avance ? Et si, tel un joueur d’échecs patiemment accoudé à son Kremlin, il avait anticipé les sanctions pour mieux les contourner ? Bref, et si c’était la Russie qui était en train de gagner la partie ?
Pour y voir plus clair et démêler le vrai du bluff dans cette partie de poker menteur à l’échelle planétaire, suivez-nous dans les coulisses d’un conflit qui pourrait bien redistribuer toutes les cartes de l’ordre mondial. Mise maximale et nerfs d’acier exigés.
L’Ukraine et l’Union européenne, les grands perdants
Dans cette guerre économique à distance, il y a d’ores et déjà deux grands perdants : l’Ukraine et l’Union européenne.
Pour l’Ukraine, le constat est sans appel. Après deux ans de conflit, le pays est exsangue, complètement ravagé. Selon les estimations de son ancien Premier ministre, la population aurait chuté de moitié, décimée par les combats et l’exode massif. Quant aux dégâts matériels, ils se chiffrent en centaines de milliards de dollars.
Le PIB s’est effondré et les régions les plus dynamiques économiquement sont désormais sous contrôle russe. Bref, l’Ukraine est au tapis, et il faudra des décennies pour la relever.
L’Union européenne, elle, paie au prix fort sa solidarité avec Kiev. En coupant les ponts économiques avec Moscou, c’est toute une partie de son approvisionnement énergétique à bas coût qui s’est subitement tarie. Résultat : les prix flambent, l’industrie tourne au ralenti, la croissance s’essouffle.
C’est toute la compétitivité européenne qui trinque, face à des concurrents américains ou asiatiques trop heureux de profiter de ce coup de mou.
Cerise sur le gâteau : malgré les sanctions, le pétrole et le gaz russes continuent d’arriver en Europe! Mais désormais, ils transitent par l’Inde, qui se gave au passage. Sanctions ou pas, les hydrocarbures trouvent toujours leur chemin, mais à un prix bien plus élevé pour le Vieux Continent. Tel est pris qui croyait prendre…
Le saviez-vous?
Côté aide humanitaire, plus de 30 pays ont fourni des aides qu’elles soient matérielles, militaires ou humanitaires. Au-delà des nations, Space X a fourni une couverture Starlink et Binance, la plateforme d’échange crypto, a fait un don de 10 millions de dollars en plus de fournir des formations pour lutter contre la cybercriminalité en Ukraine.
Oncle Sam enlisé dans les sables ukrainiens
Et les États-Unis dans tout ça ? Fidèle à sa réputation de gendarme du monde, Washington s’est jeté dans la bataille dès les premières heures du conflit.
Armement dernier cri, renseignement satellitaire, conseils stratégiques… l’Ukraine est devenue du jour au lendemain le 51ème État de l’Union. Démocrates et républicains, pour une fois unis comme au bon vieux temps de la Guerre Froide, ont aligné les milliards de dollars d’aide militaire.
Mais voilà, deux ans plus tard, l’enthousiasme n’est plus là. À Capitol Hill, les sourires sont crispés et les cordons de la bourse se resserrent. Pire, certaines voix discordantes commencent à s’élever, y compris dans le camp démocrate. Faut-il vraiment continuer à arroser à fonds perdus un puits sans fond ukrainien ?
C’est que la Maison Blanche a d’autres chats à fouetter. Entre une inflation galopante, une dette qui crève tous les plafonds et une crise migratoire qui enflamme les esprits, Joe Biden a fort à faire pour calmer son propre pays. Le tout sur fond de prochaine campagne présidentielle, avec dans son rétroviseur un Donald Trump qui n’a jamais caché son scepticisme sur le dossier ukrainien.
Pendant ce temps, sur le front, l’armée ukrainienne s’épuise. Les stocks d’armements occidentaux fondent comme neige au soleil, et les soldats manquent de tout, des munitions aux treillis d’hiver.
À Washington, Kiev et Bruxelles, une angoisse sourde étreint les états-majors : et si Poutine profitait de cette baisse de régime pour lancer une grande offensive ?
Le saviez-vous?
Selon le Conseil européen, début 2024 c’était un total de 85 milliards d’euros d’aides qui a été fourni à l’Ukraine par les pays d’Europe et l’Union européenne.
L’économie russe, le roseau qui plie, mais ne rompt pas
Et la Russie dans tout ça ? Contre toute attente, l’économie russe a plutôt bien encaissé le choc des sanctions. Certes, les premiers mois ont été difficiles, avec une récession et un effondrement du rouble. Mais depuis, tel un roseau souple et tenace, l’économie russe a redressé la tête.
Le secret de cette résilience ? Une réorientation express de son appareil productif. Privée des importations occidentales, la Russie s’est lancée à marche forcée dans une vague de substitution et de réindustrialisation. Les usines tournent à plein régime pour produire localement ce qui venait auparavant d’Europe ou d’Amérique.
Après un recul en 2022, la croissance est de retour, et le chômage reste étonnamment bas.
Côté énergie, même stratégie : de nouveaux pipelines ont été construits à la hâte vers la Chine et l’Inde, avides de pétrole et de gaz russes. Les hydrocarbures coulent désormais à flots vers l’Est, compensant les pertes du marché européen. Et les profits continuent de renflouer les caisses du Kremlin, lui donnant les moyens de sa politique.
Bien sûr, tout n’est pas rose dans le jardin économique de Poutine. Les caisses de l’État se vident à vue d’œil pour financer l’effort de guerre et la réindustrialisation. Beaucoup d’entreprises occidentales ont plié bagage, privant la Russie de savoir-faire précieux.
Et la facture de la reconstruction des territoires conquis sera certainement salée. Mais pour l’heure, l’économie russe tient bon, et c’est bien là l’essentiel pour le maître du Kremlin.
Le saviez-vous?
Début février, le FMI (Fonds Monétaire International) a revu à la hausse ses prévisions de croissance de la Russie à 2,6% pour 2024, les sanctions n’ont pas eu l’effet escompté.
Un monde nouveau émerge des décombres ukrainiens
Au-delà des gains et des pertes de chaque camp, c’est un séisme géopolitique et économique majeur que le conflit ukrainien a provoqué. Sous nos yeux, à une vitesse accélérée par la guerre, le monde d’hier se lézarde et celui de demain se dessine.
Première conséquence : la mondialisation heureuse et insouciante est morte et enterrée. Les chaînes de valeur globalisées volent en éclats, chacun cherchant à sécuriser ses approvisionnements vitaux. Le libre-échange recule, le chacun pour soi avance.
Dans ce monde fragmenté, malheur aux pays dépourvus de ressources clés comme l’énergie ou les minerais rares. L’Europe en fait la douloureuse expérience.
Ceux qui tirent leur épingle du jeu ? Les nations richement dotées par dame Nature. La Russie bien sûr, mais aussi les États-Unis, qui redeviennent soudain un havre de stabilité énergétique.
Ironie de l’histoire, c’est vers l’Oncle Sam que se tournent maintenant les industriels européens en mal de gaz pas cher. Le roi dollar en profite pour rafler la mise et étendre son emprise sur le Vieux Continent.
Car c’est bien de puissance économique et financière qu’il s’agit in fine. Dans ce monde instable et fragmenté, ceux qui pourront continuer à financer leur économie à moindre coût prendront l’ascendant. Et de ce point de vue, les cartes sont inégales.
Pendant que la Russie affiche une dette publique minime, que la Chine finance sa Belt and Road Initiative à coups de milliards, l’Europe peine à boucler ses fins de mois. Quant à l’Amérique, sa montagne de dette publique pourrait rapidement devenir un boulet si les taux d’intérêt s’envolent.
Nous voici donc face à un monde nouveau, plus dur, plus fragmenté, plus inégal. Un monde où la puissance se mesurera à l’aune des ressources naturelles et de la solidité financière. Un monde, aussi, où les alliances seront plus mouvantes et les lignes de front plus nombreuses. Bienvenue dans le monde d’après…
Le saviez-vous?
21 milliards d’euros, c’est ce que la Russie a dépensé pour ses soldats et volontaires envoyés en Ukraine. Cette somme comprend l’argent envoyé aux familles des soldats qui sont tombés au combat.
Naviguer dans un monde incertain
Au terme de cette plongée dans les eaux troubles de la géopolitique mondiale, une chose est claire : la Russie est loin d’avoir perdu sa guerre économique contre l’Occident. Malgré les sanctions, malgré l’isolement diplomatique, Poutine tient bon. Son armée avance en Ukraine, son économie résiste, ses alliés lui restent fidèles.
Est-ce à dire que le maître du Kremlin a déjà gagné la partie ? Certainement pas. La guerre est loin d’être finie et nul ne peut prédire avec certitude son issue. Mais une chose est sûre : la Russie restera un acteur majeur du jeu international, quoi qu’il arrive. Sous-estimer sa résilience et sa capacité de nuisance serait une erreur fatale pour les Occidentaux.
Alors que faire ? Se résigner à l’inéluctable retour de Poutine dans le concert des nations ? Certainement pas. Mais peut-être est-il temps d’abandonner l’illusion d’une victoire par l’arme économique. Peut-être faut-il accepter que dans un monde de plus en plus multipolaire, nous devrons composer avec des rivaux coriaces et des partenaires exigeants.À l’heure où les cartes de la puissance mondiale sont rebattues, chacun d’entre nous a un rôle à jouer. Investisseurs, épargnants, citoyens… nous devons apprendre à naviguer dans ces eaux incertaines. Cela demandera de la lucidité, du pragmatisme, parfois de l’audace.