Résumé :
- Les lancements de fonds ESG s’effondrent de 50% au premier semestre 2024
- Le marché se normalise après des années de croissance effrénée
- L’incertitude réglementaire freine les ardeurs des gestionnaires d’actifs
- L’Europe reste le bastion de la finance durable malgré la tempête
- Amundi et BNPP AM défient la tendance avec des lancements soutenus
La finance durable, longtemps considérée comme l’avenir incontournable de l’investissement, fait face à un séisme inattendu. Les fonds ESG (Environnement, Social, Gouvernance), symboles de cette révolution verte dans le monde financier, connaissent un ralentissement spectaculaire en 2024.
Alors que ces produits financiers étaient en plein essor ces dernières années, attirant des milliards de dollars d’investissements, leur croissance marque soudainement le pas. Ce revirement brutal soulève de nombreuses questions sur l’avenir de la finance durable et ses implications pour l’ensemble du secteur financier.
Le grand ralentissement des fonds ESG : chiffres et tendances
Le marché des fonds ESG, autrefois en pleine effervescence, connaît un coup de frein sans précédent. Au premier semestre 2024, le nombre de lancements de fonds ESG a chuté de moitié par rapport à la même période l’année précédente. Selon les données de Morningstar, seulement 170 fonds ESG ont vu le jour dans le monde au cours des six premiers mois de l’année, contre 325 en 2023. Cette baisse est d’autant plus frappante lorsqu’on la compare aux 529 lancements enregistrés en 2022, année record pour la finance durable.
Ce ralentissement n’affecte pas uniformément toutes les régions du globe. L’Europe, bien que touchée, maintient sa position de leader incontesté. Le Vieux Continent représente toujours 84% des encours mondiaux, avec 2.600 milliards de dollars d’actifs sous gestion. De plus, l’Europe a été à l’origine de 75% des nouveaux fonds durables lancés au premier semestre 2024.
À l’inverse, les États-Unis semblent particulièrement affectés par cette tendance baissière. Le marché américain continue de voir ses encours s’évaporer, bien qu’à un rythme moins soutenu qu’auparavant. Fait marquant, seuls 6 nouveaux fonds ESG ont été lancés outre-Atlantique au cours du premier semestre 2024, illustrant la frilosité des investisseurs américains face à ce segment du marché.
Les facteurs explicatifs de cette chute vertigineuse
Plusieurs raisons expliquent ce brusque coup d’arrêt dans la croissance des fonds ESG. Tout d’abord, on assiste à une normalisation du marché.
Il s’agit d’une normalisation de l’activité après trois années de forte croissance, au cours desquelles presque toutes les sociétés de gestion d’actifs se sont empressées de lancer des fonds durables pour répondre à la demande croissante.
Hortense Bioy, directrice de l’investissement durable chez Morningstar Sustainalytics
L’incertitude réglementaire joue également un rôle majeur dans ce ralentissement. En Europe, la refonte du règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) sur les fonds verts a déjà nécessité de nombreux reclassements. Les gestionnaires d’actifs attendent d’y voir plus clair avant de lancer de nouveaux produits, une clarification qui pourrait prendre plusieurs années.
Les scandales de greenwashing ont également laissé des traces. L’année 2022 a été marquée par plusieurs affaires retentissantes, ébranlant la confiance des investisseurs dans les produits ESG. Cette méfiance a été exacerbée par la performance décevante de nombreux fonds ESG en 2022, due à la flambée des valeurs pétrolières et à la baisse des sociétés technologiques, traditionnellement surpondérées dans ces portefeuilles.
<blockquote class= »twitter-tweet »><p lang= »en » dir= »ltr »>So cigarette’s do more good for the climate than a Tesla? <br><br>The hypocrisy of ESG scores.<br><br>Tesla got just a 37 out of 100, while Philip Morris got an 84.<br><br>Who’s supposed to believe this non-sense? <a href= »https://t.co/eo8eRVPBiZ »>https://t.co/eo8eRVPBiZ</a></p>— Patrick Bet-David (@patrickbetdavid) <a href= »https://twitter.com/patrickbetdavid/status/1669084442579673088?ref_src=twsrc%5Etfw »>June 14, 2023</a></blockquote> <script async src= »https://platform.twitter.com/widgets.js » charset= »utf-8″></script>
Les sociétés de gestion adoptent désormais une approche plus sélective et tactique dans leur stratégie de nouveaux produits. Elles cherchent à consolider leurs gammes existantes plutôt que de multiplier les lancements, privilégiant la qualité à la quantité.
Les survivants de la tempête ESG
Malgré ce contexte difficile, certains acteurs parviennent à tirer leur épingle du jeu. L’Europe, bien que touchée par le ralentissement, montre des signes de résilience. Au deuxième trimestre 2024, les fonds durables européens ont attiré 11,8 milliards de dollars.
Parmi les grands acteurs du marché, les stratégies divergent. BlackRock, numéro un mondial de la gestion d’actifs, a considérablement réduit ses lancements, passant de 61 nouveaux fonds ESG en 2021 à seulement 4 à fin mai 2024. De même, l’allemand DWS et l’américain Invesco ont fortement freiné leur activité dans ce domaine.
Cependant, deux géants français se distinguent par leur dynamisme persistant. Amundi, première société de gestion européenne, a lancé six nouveaux fonds ESG en 2024, tandis que BNP Paribas Asset Management en a créé douze. Cette résistance des acteurs français illustre leur engagement durable dans la finance responsable, malgré les turbulences du marché.
Ces sociétés de gestion adaptent leurs stratégies pour répondre aux nouvelles exigences du marché. Elles misent sur l’innovation et la transparence pour regagner la confiance des investisseurs, tout en anticipant les futures évolutions réglementaires.