Et si le plus grand empire numérique au monde était celui dont vous n’avez jamais entendu parler ? Tencent, le mastodonte chinois, inconnu du grand public occidental, règne pourtant sans partage sur l’industrie du jeu vidéo.
Mais ses ambitions vont bien au-delà du simple divertissement. Car derrière la façade colorée des licences à succès se cache une redoutable machine à collecter vos données personnelles.
Tencent, c’est le « T » des fameux BATX, le pendant chinois des GAFAM américains. Depuis sa création en 1998 à Shenzhen, ce géant de la tech a tissé sa toile sur tout l’empire du Milieu, avant de partir à la conquête du reste du monde. Jeux vidéo, messagerie, paiement mobile, réseaux sociaux, musique, cinéma… Difficile d’échapper à ses tentacules, tant ses activités sont variées.
Mais le joyau de la couronne, ce sont bien les données des utilisateurs. Ces précieuses informations que Tencent récolte à la source, via ses innombrables applications et services. Sous couvert de vous offrir une expérience personnalisée, le groupe enregistre dans le détail vos moindres faits et gestes numériques.
Des montagnes de data qu’il peut analyser, croiser, utiliser à des fins commerciales… ou politiques.
Car en Chine, impossible de bâtir un tel empire sans l’aval du régime. Et Pékin voit d’un très bon œil ce trésor de renseignements sur sa population, mais aussi sur les utilisateurs étrangers. Tencent serait-il un cheval de Troie du soft power chinois ? Une chose est sûre : à l’heure où la tech cristallise les tensions géopolitiques, le groupe est dans une position aussi inconfortable que stratégique.
Alors, prêt à plonger dans les arcanes du système Tencent ? À vous de voir si vous êtes prêt à lui confier les clés de votre vie numérique. Car une fois entré dans son monde, il est bien difficile d’en sortir… Suivez le guide, et ouvrez bien les yeux.
Un empire bâti sur les jeux vidéo… et les données des joueurs
Le gaming, c’est le moteur qui a propulsé Tencent au sommet. Depuis ses premiers pas dans le secteur en 2004, le groupe n’a cessé d’étendre son emprise sur cette industrie juteuse et stratégique.
Par le rachat méthodique des meilleurs studios et licences, de la Chine à l’Occident. Jusqu’à devenir, en l’espace de 15 ans à peine, le plus grand éditeur de jeux vidéo au monde. Un règne sans partage, qu’aucun de ses concurrents ne semble en mesure de menacer.
Mais Tencent ne se contente pas de régner sur l’univers virtuel. Car ce qui l’intéresse, ce sont surtout les données bien réelles des millions de joueurs qui se connectent chaque jour à ses blockbusters comme Honor of Kings, PUBG Mobile ou League of Legends.
À travers leurs parties endiablées, ces gamers livrent sans le savoir une mine d’informations sur leurs goûts, leur personnalité, leur mode de vie. Un trésor inestimable pour cibler toujours plus finement la pub, mais aussi pour cerner les tendances et influencer l’opinion.
Car Tencent l’a bien compris : les jeux vidéo sont une porte d’entrée idéale dans la vie des gens. Surtout quand on les maîtrise de A à Z, des serveurs jusqu’aux données collectées en passant par les mises à jour. Impossible pour les joueurs de lui échapper, sauf à se priver de leurs titres favoris.
Alors, qui peut stopper la grand-messe du gaming selon Tencent ? Pas les autorités chinoises en tout cas, qui voient d’un bon œil cette mainmise sur les loisirs et les esprits de la jeunesse. Ni les gouvernements occidentaux, impuissants face à ce rouleau compresseur venu d’Asie.
Quant aux joueurs, ils semblent avoir jeté leur dévolu sur leur dealer de dopamine favori. Résultat : l’empire Tencent continue de prospérer, ses concurrents de trembler, et vos données d’être aspirées. Game over ?
Le saviez-vous?
Les revenus de Tencent Games dépassent ceux d’Electronic Arts et de Sony Games réunis.
WeChat, le couteau suisse de la surveillance made in China
Et si votre vie entière tenait dans une seule application mobile ? C’est le pari fou de WeChat, la super-app de Tencent lancée en 2011. Un véritable couteau suisse numérique, qui permet de tout faire depuis son smartphone : messaging, appels, paiement, réservations, commandes, jeux…
Bref, un outil ultra-pratique et addictif, qui révolutionne le quotidien d’un milliard et demi d’utilisateurs. Mais à quel prix pour leur vie privée ?
Car en acceptant les conditions générales d’utilisation de WeChat, vous donnez les clés de votre existence à Tencent. Tous vos messages, vos photos, vos déplacements, vos achats… sont aspirés en continu par l’application.
Une manne de données personnelles d’une précision inouïe, qui permet au groupe de dresser votre portrait-robot intime. Et d’anticiper vos moindres désirs, pour mieux vous cibler avec de la pub ultra-personnalisée ou des contenus sur mesure.
Mais Tencent n’est pas le seul à se délecter de ce festin de données. Le gouvernement chinois aussi se sert allègrement dans ce pot de miel, pour traquer les comportements « déviants » et museler les opposants. Pas étonnant que le Parti Communiste impose WeChat à ses administrés… et encourage activement son adoption à l’étranger.
Car cette appli en apparence anodine est une arme d’influence massive au service du régime. Un cheval de Troie digital qui permet à Pékin d’étendre son emprise bien au-delà de ses frontières. Alors, faut-il renoncer à WeChat pour protéger sa vie privée ? Facile à dire, mais difficile à faire tant l’appli est devenue indispensable en Chine.
Un véritable « couteau suisse de la surveillance », qui vous rend dépendant de ses services en échange de votre liberté. Bienvenue dans la matrice Tencent, où la frontière entre confort et contrôle n’a jamais été aussi floue…
Le saviez-vous?
En Chine, l’application WeChat permet d’envoyer des messages, mais aussi de payer, de jouer, de commander à manger ou un taxi et permet même de prendre rendez-vous avec un médecin. C’est comme si Messenger, Paypal, Deliveroo, Uber et Doctolib avaient fusionné.
Tencent et le gouvernement chinois : je t’aime moi non plus
Difficile d’imaginer Tencent bâtir un tel empire numérique sans l’aval des autorités chinoises. Depuis ses débuts, le géant de Shenzhen a su jouer la carte de la loyauté envers le régime. Mieux, il s’est rendu indispensable en fournissant au Parti Communiste un accès privilégié aux données de millions de Chinois.
Un deal gagnant-gagnant, qui a longtemps protégé Tencent des foudres de Pékin… et nourrit ses ambitions.
Mais les temps changent. Xi Jinping, le président chinois, ne goûte guère ces mastodontes du Net devenus trop puissants. Leur insolente réussite fait de l’ombre à l’autorité du Parti, qui entend bien reprendre la main.
Depuis 2021, Tencent fait ainsi l’objet d’une reprise en main musclée : enquêtes antitrust, amendes records, blocage de fusions-acquisitions… Bref, une campagne en règle pour remettre au pas ce chouchou devenu trop gourmand.
Dernier coup de semonce en date : l’entrée fracassante de l’État au capital d’une filiale de Tencent. Un pied dans la porte qui doit permettre à Pékin d’accéder directement aux données et aux algorithmes du groupe.
Mais cela permet aussi de mieux contrôler ses activités, de la censure des contenus jusqu’à la collecte d’informations sensibles. Une mise sous tutelle qui sonne comme un avertissement : en Chine, le Parti est le seul maître du jeu, et les géants du Net sont à sa merci.
Alors, quel avenir pour Tencent dans ce climat de défiance ? Difficile à dire, tant le groupe dépend du bon vouloir des autorités. Une chose est sûre : il va devoir redoubler d’inventivité pour continuer à croître, tout en naviguant dans les eaux troubles de la politique chinoise.
Un sacré numéro d’équilibriste, qui pourrait vite tourner au grand écart entre impératifs business et allégeance au régime. Gare au faux pas…
Le saviez-vous?
Le gouvernement chinois a infligé à Tencent une amende équivalente à 400 millions de dollars pour abus de position dominante.
Tencent à la croisée des chemins
Le mastodonte Tencent serait-il en train de vaciller sur son piédestal ? Après des années de croissance folle, l’heure est au doute pour le géant chinois du numérique.
Entre le tour de vis réglementaire à Pékin et la saturation du marché domestique, les nuages s’amoncellent au-dessus de Shenzhen. De quoi obscurcir sérieusement les perspectives du groupe, qui doit impérativement trouver de nouveaux relais de croissance.
Son salut passera-t-il par une fuite en avant à l’international ? C’est le pari que semble faire Tencent, qui multiplie les incursions hors de Chine, de l’Asie du Sud-Est à l’Europe en passant par les États-Unis.
Objectif : séduire de nouveaux utilisateurs avec ses services phares comme WeChat et PUBG Mobile, et surtout mettre la main sur leurs précieuses données. Mais gare au choc culturel et aux résistances politiques, bien plus fortes qu’à domicile.
Le problème, c’est que Tencent traîne comme un boulet l’image d’un cheval de Troie de Pékin. Un épouvantail qui lui vaut une méfiance grandissante des autorités occidentales, promptes à brider ses ambitions au nom de la sécurité nationale.
Pas facile dans ce contexte de négocier des partenariats sans se heurter à un mur de défiance. Et ce n’est pas la montée des tensions sino-américaines qui risque d’arranger les affaires du groupe…
Pour autant, Tencent n’a pas dit son dernier mot. Sa force de frappe financière et son avance technologique restent des atouts maîtres dans la bataille mondiale des données.
Sa machine à cash des jeux vidéo lui assure un matelas confortable pour continuer à innover et à faire ses emplettes et sa capacité à analyser la moindre parcelle de la vie des utilisateurs en fait un allié précieux pour bien des acteurs.
Mais c’est aussi son plus grand défi : convaincre qu’il est un partenaire de confiance, et non un prédateur à la solde de Pékin. Un exercice d’équilibriste périlleux, qui suppose de donner des gages sur l’utilisation des données, sans renier ses racines chinoises. En clair, un grand écart entre le marteau du Parti Communiste et l’enclume des défenseurs des libertés numériques. Pas certain que Tencent en sorte indemne…
Le saviez-vous?
En seulement 3 ans, de 2018 à 2021, Tencent est passé de 35 milliards de chiffre d’affaires pour 10 milliards de bénéfice à 80 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 31 milliards de bénéfice, des résultats qui pouvaient faire rêver, mais…
Tencent en Bourse : un colosse aux pieds d’argile ?
Vous rêvez de faire fortune grâce au numérique chinois ? Alors pourquoi ne pas miser sur Tencent, le champion national qui règne sur les jeux vidéo et les applis en tous genres ? Après tout, sa success-story force l’admiration, et son action reste bon marché après avoir perdu 60% en deux ans. L’occasion rêvée de faire une bonne affaire ?
Pas si vite. Car si le potentiel de croissance de Tencent reste immense, les risques qui pèsent sur le groupe ne sont pas négligeables. Déjà, la reprise en main musclée de Pékin fait planer une épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
Entre les amendes records et l’entrée fracassante de l’État dans son capital, difficile de prédire de quoi demain sera fait. Surtout avec un Parti qui n’aime rien tant que redistribuer les cartes.
Autre point noir : la dépendance écrasante de Tencent au marché chinois, qui montre des signes inquiétants d’essoufflement. Pour tenir ses objectifs de croissance, le groupe mise donc sur son expansion internationale. Mais dans un climat de défiance envers la tech chinoise, rien ne dit que cette stratégie portera ses fruits. Gare au retour de bâton des régulateurs occidentaux.
Sans parler des incertitudes qui planent sur le modèle même de Tencent, bâti sur l’exploitation tous azimuts des données personnelles. Avec la montée en puissance des réglementations sur la vie privée, ce filon pourrait vite devenir un boulet.
Et obliger le groupe à revoir en profondeur sa façon de faire du business. Un sacré défi, qui promet des sueurs froides aux investisseurs.
Bref, miser sur l’action Tencent aujourd’hui relève plus du pari de casino que du placement de bon père de famille. Certes, le potentiel de gain est alléchant pour qui croit en l’avenir radieux du numérique chinois. Mais gare aux vents mauvais qui soufflent sur le secteur et menacent de faire dérailler ce train à grande vitesse. Un conseil : attachez vos ceintures et gardez un gilet de sauvetage à portée de main. Ça risque de secouer.