Résumé :
- L’Union européenne s’apprête à imposer des taxes allant jusqu’à 36,3% sur les voitures électriques chinoises.
- Ces nouvelles taxes s’ajouteront aux 10% déjà en place et seront appliquées pendant une période de 5 ans.
- Les constructeurs chinois SAIC, BYD et Geely sont les principales cibles de cette mesure protectionniste.
- Tesla bénéficie d’un traitement de faveur avec seulement 9% de taxe supplémentaire.
- Cette décision vise à protéger l’industrie automobile européenne face à la concurrence agressive des constructeurs chinois.
Dans un contexte de transition énergétique et de course à l’électrification, l’Union européenne s’apprête à lancer une offensive sans précédent contre la déferlante de voitures électriques chinoises sur son territoire. La Commission européenne a récemment dévoilé son intention d’imposer des droits de douane pouvant atteindre 36,3% sur ces véhicules, une mesure qui promet de redessiner les contours du marché automobile européen.
Cette décision intervient alors que les constructeurs chinois ont vu leurs ventes exploser en Europe, passant de 57 000 unités en 2020 à plus de 437 000 en 2023. Face à cette progression fulgurante, l’UE cherche à protéger son industrie automobile, qui emploie directement et indirectement plus de 12 millions d’Européens. Mais cette mesure protectionniste ne manquera pas de soulever des débats et des tensions, tant sur le plan économique que diplomatique.
Les détails de la nouvelle taxation des véhicules chinois
La Commission européenne a minutieusement élaboré un système de taxation ciblé, visant principalement les constructeurs chinois qui ont le plus bénéficié de subventions gouvernementales. SAIC, le partenaire de Volkswagen en Chine et propriétaire de la marque MG, se voit imposer le taux le plus élevé avec 36,3% de droits de douane supplémentaires. BYD et Geely, deux autres géants de l’automobile chinoise, ne sont pas épargnés avec des taux respectifs de 17% et 19,3%.
Ces taux, bien que légèrement revus à la baisse par rapport aux annonces initiales de juillet, représentent néanmoins une augmentation significative des coûts pour ces constructeurs. Il est important de noter que ces nouveaux droits de douane s’ajouteront aux 10% déjà en place, portant la charge totale à des niveaux susceptibles d’impacter sérieusement la compétitivité des véhicules chinois sur le marché européen.
Quand l’#UE nous impose tout bêtement la voiture électrique,ce sont les Chinois qui sont les grands gagnants, avec la complicité d’#UrsulavonderLeyen !
— IRDEME . EPLF (Entrepreneurs pour la France) (@EPLF_fr) July 4, 2024
La Chine est devenue le premier exportateur mondial de voitures https://t.co/w9Xy0Gdgrb pic.twitter.com/Mklgyv8rOU
La Commission européenne prévoit d’appliquer ces nouvelles taxes pour une durée de cinq ans, une période suffisamment longue pour permettre à l’industrie automobile européenne de s’adapter et de renforcer sa position face à la concurrence chinoise. La mise en place de ces mesures suivra un processus rigoureux, avec une phase de consultation des parties intéressées qui ont 10 jours pour commenter la proposition et éventuellement demander des auditions.
En septembre, la proposition sera transmise à la Commission des instruments de défense commerciale, où siègent des représentants des États membres. Sauf opposition d’une majorité qualifiée, ce qui semble peu probable malgré les réticences de certains pays comme l’Allemagne et la Suède, les droits définitifs devraient entrer en vigueur avant le 30 octobre 2024.
Dans ce paysage de taxation accrue, Tesla fait figure d’exception. Le constructeur américain, qui exporte une partie de sa production depuis ses usines chinoises vers l’UE, bénéficiera d’un traitement de faveur avec un droit limité à 9%. Cette décision s’explique par la structure de financement de Tesla, qui ne dépend pas des prêts publics chinois, contrairement à ses concurrents locaux.
Ce traitement différencié souligne la complexité de la situation et la volonté de la Commission européenne de cibler spécifiquement les pratiques qu’elle juge déloyales, plutôt que d’appliquer une approche uniforme à tous les véhicules produits en Chine.
L’impact sur le marché automobile européen
La décision de l’UE intervient dans un contexte de croissance exponentielle des ventes de véhicules électriques chinois en Europe. En l’espace de trois ans, les importations ont été multipliées par plus de sept, passant de 57 000 unités en 2020 à plus de 437 000 en 2023. Cette progression fulgurante a permis aux marques chinoises de capturer 11% du marché des véhicules électriques en Europe en juin 2023, un record qui a sonné l’alarme dans les capitales européennes.
Cette percée s’explique en grande partie par la compétitivité des prix des véhicules chinois, rendue possible par des coûts de production plus faibles et des subventions gouvernementales massives. Face à cette concurrence, les constructeurs européens se sont retrouvés en difficulté, particulièrement dans le segment des véhicules d’entrée de gamme.
L’annonce de ces nouvelles taxes a suscité des réactions contrastées dans l’industrie automobile. Sans surprise, la Chambre de commerce chinoise dans l’UE a vivement dénoncé ces mesures, les qualifiant de « protectionnistes » et « injustes« . Le gouvernement chinois lui-même s’est « opposé vigoureusement » à ces taxes, allant jusqu’à porter plainte devant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) dès le mois d’août 2023, sur la base des droits de douane temporaires annoncés en juillet.
Du côté européen, les réactions sont plus nuancées. Si certains constructeurs voient dans ces mesures une opportunité de reprendre leur souffle et de renforcer leur position sur le marché des véhicules électriques, d’autres, notamment ceux ayant des partenariats étroits avec des entreprises chinoises, s’inquiètent des possibles répercussions sur leurs activités.
Face à cette nouvelle donne, les constructeurs chinois ne restent pas les bras croisés. Certains ont déjà anticipé ces mesures en initiant une stratégie de délocalisation de leur production en Europe. BYD, par exemple, a récemment implanté une usine en Hongrie, tandis que SAIC (propriétaire de MG) devrait bientôt annoncer l’ouverture d’une nouvelle usine sur le continent européen.
D’autres, comme Leapmotor, ont opté pour des partenariats stratégiques avec des constructeurs européens. Stellantis, par exemple, a élaboré un « plan B » avec Leapmotor, prévoyant la production de véhicules dans son usine polonaise de Tichy, ce qui leur permettrait d’échapper aux nouveaux droits de douane.
Ces stratégies d’adaptation montrent la détermination des constructeurs chinois à maintenir leur présence sur le marché européen, malgré les obstacles réglementaires. Elles soulèvent également des questions sur l’efficacité à long terme des mesures protectionnistes de l’UE.
Les enjeux économiques et politiques
L’un des principaux arguments avancés par la Commission européenne pour justifier ces nouvelles taxes est la protection de l’emploi dans l’industrie automobile européenne. Avec plus de 12 millions d’emplois directs et indirects en jeu, l’enjeu est de taille. La crainte est que la concurrence chinoise, jugée déloyale en raison des subventions massives dont bénéficient ses constructeurs, ne mette en péril ces emplois, particulièrement dans un contexte de transition vers l’électrique.
Cependant, certains experts remettent en question l’efficacité de ces mesures pour préserver l’emploi à long terme. Ils soulignent que la compétitivité de l’industrie européenne dépendra davantage de sa capacité à innover et à réduire ses coûts de production que de barrières tarifaires temporaires.
L’imposition de ces nouvelles taxes risque d’exacerber les tensions déjà existantes entre l’Union européenne et la Chine. La plainte déposée par Pékin auprès de l’OMC n’est probablement que le début d’une série de mesures de rétorsion potentielles. Ces tensions commerciales pourraient s’étendre à d’autres secteurs, affectant potentiellement les intérêts européens en Chine.
Surtaxes sur les véhicules électriques en Europe: Pékin saisit l’OMC
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De plus, cette décision s’inscrit dans un contexte plus large de rééquilibrage des relations économiques entre l’UE et la Chine. L’Europe cherche à réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine dans des secteurs stratégiques, tout en maintenant des liens commerciaux étroits. Cette équation délicate pourrait être perturbée par l’escalade des tensions dans le secteur automobile.
La décision d’imposer ces taxes n’a pas fait l’unanimité au sein de l’Union européenne. L’Allemagne, en particulier, s’est montrée réticente, craignant des représailles qui pourraient affecter ses propres intérêts en Chine. Ce débat interne reflète les divergences au sein de l’UE entre les partisans d’une approche plus protectionniste et ceux qui privilégient le libre-échange.
Cette tension entre protection de l’industrie nationale et ouverture aux marchés internationaux est au cœur des discussions sur l’avenir de la politique commerciale européenne. La décision finale sur ces taxes et leur mise en œuvre pourrait donc avoir des implications bien au-delà du seul secteur automobile.
Le grand défi électrique : l’Europe face à son destin automobile
L’efficacité de ces nouvelles taxes fait l’objet de débats parmi les experts. Selon l’Institut de Kiel, un droit de douane supplémentaire de 20% pourrait réduire les importations de véhicules électriques chinois dans l’UE de 25%. Cependant, certains analystes estiment que ces droits de douane pourraient s’avérer peu opérants à long terme, compte tenu des coûts de production extrêmement bas en Chine.
De plus, la stratégie de délocalisation déjà amorcée par certains constructeurs chinois pourrait limiter l’impact de ces taxes. À terme, cela pourrait même conduire à une concurrence plus directe et plus féroce sur le sol européen, une fois que ces constructeurs auront établi leurs propres usines dans l’UE.
Le Président du conseil d'administration de Renault déplore le fait qu’aucune étude d’impact sérieuse n’ait été réalisée au moment du vote interdisant la vente de voitures thermiques dès 2035 en Europe… pic.twitter.com/jBnyFBFjwV
— Documentaire et Vérité (@DocuVerite) March 22, 2024
Face à ces défis, la Commission européenne a indiqué être ouverte à des « solutions alternatives » qui éviteraient l’imposition de nouveaux droits. Des discussions sont en cours, tant au niveau technique que politique, pour explorer ces options. Cela pourrait inclure des accords commerciaux plus équilibrés, des investissements conjoints dans la recherche et développement, ou encore des engagements de la part des constructeurs chinois en termes d’emploi local et de transfert de technologie.
À plus long terme, ces mesures s’inscrivent dans un contexte de profonde mutation du marché automobile européen. Avec la fin programmée des moteurs thermiques à l’horizon 2035, votée par le Parlement européen, l’industrie automobile européenne est confrontée à un défi de taille : réussir sa transition vers l’électrique tout en restant compétitive sur la scène mondiale.
Les constructeurs européens devront donc non seulement s’adapter à cette nouvelle donne réglementaire, mais aussi accélérer leurs efforts en matière d’innovation, notamment dans le domaine des batteries et des logiciels embarqués. La capacité de l’industrie européenne à relever ces défis déterminera en grande partie sa place dans le paysage automobile mondial de demain.