Résumé :
- Toyota, n°1 mondial de l’automobile, mise sur une stratégie multitechnologique surprenante
- Le groupe japonais défend l’hybride et l’hydrogène face à la vague du tout électrique
- Toyota prévoit 50% de ventes électriques en Europe en 2030, contre 100% pour ses concurrents
- Le constructeur s’inquiète des coûts et de l’accessibilité des véhicules électriques pour tous
- Un récent changement de direction pourrait accélérer la transition électrique du groupe
Dans un monde automobile en pleine mutation, où la course à l’électrification bat son plein, Toyota fait figure de rebelle. Le constructeur japonais, leader incontesté du marché avec plus de 10 millions de véhicules vendus en 2022, refuse de se laisser emporter par la vague du tout électrique. Alors que ses concurrents annoncent à grand renfort de communication leur conversion totale à l’électrique d’ici 2030, Toyota persiste et signe : l’avenir de la mobilité ne se fera pas sans l’hybride et l’hydrogène.
Cette position, à contre-courant de l’industrie, soulève de nombreuses questions. Toyota, le pionnier de l’hybride avec sa mythique Prius, aurait-il perdu son sens de l’innovation ? Ou le géant nippon aurait-il une fois de plus un coup d’avance sur ses rivaux ? Plongeons dans la stratégie audacieuse de Toyota et découvrons pourquoi le numéro 1 mondial pourrait bien redéfinir les contours de la mobilité de demain.
Toyota : une histoire d’innovation et de singularité
De l’industrie textile à la révolution automobile, l’histoire de Toyota est un récit fascinant d’audace et d’innovation. Découvrez comment cette entreprise familiale est devenue un géant mondial, en repoussant constamment les limites de la technologie et de la production. Ce parcours unique explique en grande partie la stratégie actuelle du groupe face aux défis de la transition énergétique.
Des métiers à tisser à l’automobile : l’esprit pionnier des Toyoda
L’histoire de Toyota est celle d’une famille visionnaire qui a su transformer les défis en opportunités. Tout commence avec Sakichi Toyoda, le « roi de l’invention », qui révolutionne l’industrie textile en créant des métiers à tisser automatiques. Mais c’est son fils, Kiichiro, qui va véritablement propulser l’entreprise familiale dans une nouvelle ère.
En 1935, alors que l’industrie automobile est dominée par les géants américains, Kiichiro Toyoda prend une décision audacieuse : se lancer dans la production de voitures. La première Toyota, la A1, voit le jour cette même année. Elle est le fruit d’un assemblage ingénieux de technologies existantes, préfigurant déjà l’esprit d’innovation pragmatique qui fera la renommée de la marque.
Les révolutions de Toyota dans la production automobile
Mais l’innovation chez Toyota ne s’arrête pas à la conception des véhicules. Le constructeur japonais va littéralement révolutionner les méthodes de production automobile, créant ce qui deviendra plus tard le célèbre « Toyota Production System« .
Kiichiro Toyoda et ses équipes développent des concepts révolutionnaires qui sont encore aujourd’hui au cœur de l’industrie automobile mondiale :
- Le « kaizen » : une philosophie d’amélioration continue qui pousse chaque employé à chercher constamment des moyens d’optimiser les processus.
- Le « just in time » (JAT) : une méthode de production qui vise à réduire les stocks au minimum en apportant sur la chaîne uniquement ce qui est nécessaire, quand c’est nécessaire.
- Le « jidoka » : un système qui donne aux opérateurs le pouvoir d’arrêter la ligne de production en cas de problème, garantissant ainsi une qualité irréprochable.
Ces innovations ont propulsé Toyota au sommet de l’industrie automobile, lui permettant de produire des véhicules de haute qualité à des coûts compétitifs. L’usine d’Onnaing, près de Valenciennes, en est un parfait exemple : elle produit une voiture toutes les 58 secondes, faisant d’elle le site le plus performant du groupe.
Mais l’esprit d’innovation de Toyota ne s’est pas arrêté à la production. En 1997, le constructeur frappe un grand coup en lançant la Prius, première voiture hybride produite en masse. Un pari fou à l’époque, qui s’est révélé visionnaire : en 25 ans, ce sont plus de 22 millions de véhicules hybrides Toyota et Lexus qui ont été mis sur les routes.
Cette capacité à voir plus loin, à anticiper les besoins futurs du marché, est profondément ancrée dans l’ADN de Toyota. C’est elle qui guide aujourd’hui la stratégie du groupe face aux défis de la transition énergétique. Une stratégie qui, une fois de plus, va à contre-courant de l’industrie…
La stratégie actuelle de Toyota face à la transition énergétique
Face à la vague du tout électrique, Toyota adopte une position qui fait débat. Le constructeur japonais, fidèle à son héritage d’innovation, propose une vision alternative de la mobilité durable. Entre pragmatisme et audace, cette approche soulève des questions cruciales sur l’avenir de l’industrie automobile et les moyens d’atteindre la neutralité carbone.
Le pari de la diversification technologique
Alors que la plupart des constructeurs automobiles se lancent tête baissée dans la course au tout électrique, Toyota adopte une approche plus nuancée. Akio Toyoda, petit-fils du fondateur et président du conseil d’administration, défend une vision claire : « L’ennemi, c’est le carbone, pas la motorisation. »
Cette philosophie se traduit par une stratégie multitechnologique audacieuse. Plutôt que de miser uniquement sur les véhicules 100% électriques, Toyota continue de développer et d’améliorer ses technologies hybrides, tout en investissant massivement dans l’hydrogène. Le constructeur japonais est convaincu que cette approche diversifiée est la clé pour atteindre rapidement et efficacement la neutralité carbone.
Pour illustrer cette stratégie, Toyota n’hésite pas à sortir des sentiers battus. En août dernier, lors d’une épreuve du championnat du monde des rallyes à Ypres, en Belgique, Akio Toyoda lui-même a piloté un prototype de Yaris hybride équipé d’un moteur à combustion à hydrogène. Une démonstration spectaculaire des possibilités offertes par les technologies alternatives.
Les défis du tout électrique selon Toyota
Si Toyota refuse de se lancer à corps perdu dans le tout électrique, c’est que le constructeur identifie plusieurs obstacles majeurs à une électrification totale et rapide du parc automobile mondial.
Premièrement, la question des matières premières. Gill Pratt, directeur scientifique du groupe, souligne un point crucial : avec la même quantité de lithium, on peut équiper une seule voiture électrique ou 90 véhicules hybrides. Dans un contexte où les prix des matières premières s’envolent (la tonne de lithium a été multipliée par dix entre 2020 et 2022), cette réalité économique ne peut être ignorée.
Deuxièmement, l’accessibilité des véhicules électriques pour tous les consommateurs est un sujet de préoccupation majeur pour Toyota. Akio Toyoda l’affirme haut et fort : « Chez Toyota, nous ne voulons laisser personne sur le bord de la route. » Le coût élevé des batteries, qui représente près de 40% de la valeur d’une voiture électrique, risque de rendre ces véhicules inabordables pour une grande partie de la population.
Enfin, Toyota s’inquiète de l’impact sur les infrastructures. Lors d’une conférence au Japon, Akio Toyoda a estimé que les investissements nécessaires pour fournir de l’énergie à un parc automobile entièrement électrifié au Japon se situeraient entre 135 et 358 milliards de dollars. Un coût colossal qui pose la question de la faisabilité d’une transition aussi rapide.
Les critiques et le retard apparent dans l’électrification
Malgré ces arguments, la stratégie de Toyota ne fait pas l’unanimité. Le constructeur japonais est régulièrement critiqué pour son apparente lenteur à embrasser la révolution électrique. En 2022, les ventes de véhicules 100% électriques ne représentaient que 1% des 10,4 millions de véhicules vendus par le groupe, loin derrière certains concurrents.
Cette position a même commencé à inquiéter certains actionnaires, soucieux des conséquences sur la valorisation de la marque. Anders Schelde, président d’AkademikerPension, un fonds d’investissement danois détenant d’importantes participations dans Toyota, exprime cette préoccupation : « Le secteur doit profondément changer pour abandonner la production de véhicules à essence et, de notre point de vue, Toyota a tardé à s’y mettre. »
Ces critiques ont poussé Toyota à clarifier sa stratégie et à accélérer ses plans d’électrification. Mais le géant japonais reste fidèle à sa vision d’une transition énergétique progressive et diversifiée, convaincu que cette approche est la plus réaliste et la plus efficace pour réduire les émissions de CO2 à l’échelle mondiale.
L’avenir de Toyota dans un monde électrique
Malgré les critiques, Toyota ne reste pas immobile. Le géant japonais prépare activement son avenir, jonglant entre sa vision à long terme et les pressions du marché. Entre nouveaux investissements, changements de direction et innovations technologiques, découvrez comment Toyota compte maintenir sa position de leader dans un monde automobile en pleine mutation.
Les nouveaux investissements et objectifs du groupe
Face aux pressions du marché et des régulateurs, Toyota a décidé d’accélérer sa transition vers l’électrique, tout en maintenant sa stratégie de diversification technologique. Fin 2021, Akio Toyoda a présenté un plan ambitieux visant à rassurer les investisseurs et à démontrer l’engagement du groupe dans la mobilité électrique.
Ce plan comprend un investissement massif de 35 milliards de dollars pour le développement de 30 véhicules électriques d’ici 2030. L’objectif est clair : Toyota vise à vendre 3,5 millions de véhicules électriques dans le monde à cette échéance. En Europe, le constructeur prévoit que 50% de ses ventes seront électriques en 2030, pour atteindre 100% en 2035, conformément à la future réglementation européenne.
Pour concrétiser ces ambitions, Toyota accélère le déploiement de ses capacités de production de batteries. Aux États-Unis, un investissement de 3,8 milliards de dollars est prévu en Caroline du Nord pour la construction d’une usine de batteries. Des projets similaires sont en cours de développement en Europe, même si les détails n’ont pas encore été dévoilés.
Le changement de direction et ses implications
En janvier 2023, Toyota a surpris le monde de l’automobile en annonçant un changement majeur à sa tête. Akio Toyoda, figure emblématique du groupe, a décidé de quitter son poste de PDG pour prendre la présidence du conseil d’administration. Il a cédé les rênes de l’entreprise à Koji Sato, 53 ans, ancien président de Lexus.
Ce changement de direction pourrait marquer un tournant dans la stratégie de Toyota. Koji Sato, représentant une nouvelle génération de dirigeants, pourrait être plus enclin à accélérer la transition électrique du groupe. Il a d’ailleurs promis d’étoffer rapidement la gamme de voitures électriques de Toyota.
Cependant, il est important de noter qu’Akio Toyoda, en tant que président du conseil d’administration, conserve une influence significative sur la stratégie à long terme du groupe. Il est donc peu probable que Toyota abandonne complètement sa vision d’une approche diversifiée de la mobilité durable.
Les innovations en cours pour rester compétitif
Malgré son apparente réticence initiale envers le tout électrique, Toyota n’a pas cessé d’innover. Le groupe travaille activement sur une plateforme dédiée aux véhicules zéro émission, un élément crucial pour produire des voitures électriques compétitives en termes de performances et de coûts.
Le concept Lexus Electrified Sport, présenté récemment, illustre parfaitement cette capacité d’innovation. Ce coupé deux places électrique promet des performances époustouflantes, avec un 0 à 100 km/h en deux secondes et une autonomie théorique de près de 700 kilomètres grâce à une batterie solide de nouvelle génération. Plus surprenant encore, ce véhicule intègre un levier de vitesse, un embrayage et un compte-tours, offrant aux conducteurs les sensations d’une voiture sportive traditionnelle dans un package 100% électrique.
Par ailleurs, Toyota continue de miser sur l’hydrogène, une technologie dans laquelle le groupe a acquis une expertise significative avec sa Mirai à pile à combustible. Le développement de moteurs à combustion fonctionnant à l’hydrogène pourrait offrir une alternative intéressante pour certains segments du marché, combinant zéro émission et expérience de conduite traditionnelle.
Enfin, Toyota ne néglige pas l’aspect environnemental de sa production. L’usine de Valenciennes, par exemple, a réduit ses émissions de CO2 de 60% en 20 ans, et le groupe vise la neutralité carbone de tous ses sites européens d’ici 2040. Cette approche globale de la durabilité, qui ne se limite pas aux seuls véhicules, pourrait s’avérer un atout majeur pour Toyota dans les années à venir.