Résumé :
- L’Argentine a transféré 62,2 tonnes d’or à Londres, d’une valeur de 5,23 milliards de dollars
- Des fonds vautours cherchent à saisir cet or pour régler d’anciens contentieux juridiques
- Le pays fait face à une crise économique majeure avec une forte dévaluation du peso
- Une procédure judiciaire à New York pourrait déterminer le sort de l’or argentin
Le transfert controversé de l’or argentin
Fin juin, la banque centrale argentine (BCRA) a pris une décision qui allait s’avérer lourde de conséquences. Dans une série de vols ultrasécurisés opérés par British Airways, elle a transféré la quasi-totalité de ses réserves d’or vers la City de Londres. Ce transfert concernait environ 62,2 tonnes d’or, représentant une valeur colossale de 5,23 milliards de dollars.
Ce mouvement n’était pas anodin. Face à des réserves de change devenues négatives, estimées à -2 milliards de dollars selon Fitch Ratings, l’Argentine cherchait désespérément à maintenir sa stabilité financière. L’or, déposé sur un compte de la Banque des règlements internationaux (BRI), devait servir de garantie pour obtenir des prêts en dollars, une bouée de sauvetage pour un pays au bord du gouffre économique.
Cependant, ce qui devait être une manœuvre de survie financière s’est rapidement transformé en vulnérabilité. En sortant l’or du territoire national, l’Argentine l’a exposé à des risques juridiques qu’elle n’avait peut-être pas anticipés.
La menace des fonds vautours
À peine l’or argentin arrivé à Londres, il a attisé la convoitise de créanciers bien particuliers : les « fonds vautours », des fonds d’investissement qui achètent délibérément la dette d’entités (généralement des pays ou des entreprises) en difficulté financière à un prix très bas. Parmi eux, deux acteurs se distinguent : Bainbridge et Burford Capital. Ces fonds spécialisés dans les contentieux avec des États en difficulté sont en conflit avec l’Argentine depuis près d’une décennie.
Bainbridge est engagé dans un litige concernant la dette argentine, tandis que Burford Capital conteste les conditions de nationalisation du groupe pétrolier YPF en 2012, qu’il juge défavorables aux actionnaires minoritaires. Leur stratégie est simple : ils cherchent à faire reconnaître que le Trésor argentin et la BCRA agissent de concert, malgré leur statut théorique d’entités distinctes.
Si cette manœuvre juridique aboutit, elle ouvrirait la voie à une possible saisie des actifs de la BCRA, y compris l’or fraîchement transféré à Londres. Dans cette optique, les fonds ont demandé à une juge de New York d’ordonner à l’Argentine de révéler officiellement la localisation et le montant exact de ses réserves d’or. Une décision favorable pourrait déclencher une procédure de saisie des actifs, mettant en péril les dernières réserves substantielles du pays.
La vulnérabilité économique de l’Argentine
Cette bataille juridique intervient dans un contexte économique déjà désastreux pour l’Argentine. Depuis l’élection de Javier Milei à la présidence, le peso argentin a perdu les deux tiers de sa valeur face au dollar en moins de 12 mois, plongeant le pays dans une spirale inflationniste.
Paradoxalement, l’envolée du cours de l’or, 40% sur 12 mois et 27% cette année, a quelque peu bénéficié à l’Argentine, valorisant ses réserves. Cependant, cette hausse ne suffit pas à compenser les défis économiques colossaux auxquels le pays fait face, notamment une dette de 44 milliards de dollars envers le Fonds monétaire international.
La BCRA se trouve dans une position intenable, contrainte de s’endetter davantage pour maintenir un semblant de stabilité financière, ce qui ne fait qu’accroître sa vulnérabilité à long terme.
Les enjeux juridiques et financiers
L’issue de la procédure en cours à New York pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour la souveraineté financière de l’Argentine. Si la juge Loretta Preska donne raison aux fonds vautours, cela créerait un précédent dangereux, remettant en question l’immunité dont bénéficient généralement les actifs des banques centrales.
Cette situation n’est pas sans rappeler le cas du Venezuela, qui a perdu en juin 2023 son appel pour récupérer 1,95 milliard de dollars d’or conservé dans les coffres de la Banque d’Angleterre. Le Royaume-Uni avait gelé ces fonds en 2019 pour protester contre la réélection contestée de Nicolas Maduro, illustrant comment les actifs d’un État peuvent être utilisés comme levier politique et financier sur la scène internationale.
Le précédent vénézuélien souligne la complexité et les risques inhérents au stockage d’or à l’étranger pour les pays en difficulté économique. Il met en lumière la fine ligne entre stratégie financière et vulnérabilité géopolitique, un équilibre que l’Argentine doit maintenant négocier avec la plus grande prudence.