Résumé :
- Le top 0,1% des héritiers ne paie que 10% de droits de succession sur des fortunes colossales
- L’État pourrait perdre 160 milliards d’euros en 30 ans à cause des niches fiscales
- L’assurance-vie et le Pacte Dutreil sont dans le viseur des critiques
- Les économistes sonnent l’alarme et réclament une réforme en profondeur
- Le débat s’enflamme : entre justice fiscale et crainte d’une fuite des capitaux
L’état des lieux de l’héritage des grandes fortunes en France
Le rapport d’Oxfam jette une lumière crue sur la réalité de l’héritage des grandes fortunes en France. Le constat est sans appel : le sommet des super-héritiers, représentant seulement 0,1% de la population, ne paie que 10% de droits de succession sur un héritage moyen d’environ 13 millions d’euros. Ces chiffres vertigineux ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
En effet, l’ONG a calculé que dans les 30 prochaines années, 25 milliardaires français transmettront à leurs héritiers plus de 460 milliards d’euros. Un pactole colossal qui, dans les conditions fiscales actuelles, pourrait priver l’État de 160 milliards d’euros de recettes. « Cette fiscalité inadaptée est à l’origine des inégalités croissantes entre les Français », insiste le rapport d’Oxfam.
L’assurance-vie est l’un des outils privilégiés des grandes fortunes pour optimiser leur transmission patrimoniale. Ce produit financier bénéficie d’un traitement fiscal particulièrement avantageux.
Les contrats d’assurance-vie permettent aujourd’hui dans certains cas de transmettre jusqu’à 152.000 euros à la personne de son choix sans payer d’impôts, et de n’être taxés qu’à un taux de 20 ou de 31,25% sur le reste
rapport d’Oxfam
Cette niche fiscale représenterait un manque à gagner annuel pour l’État estimé entre 4 et 5 milliards d’euros, selon le Conseil d’analyse économique (CAE). Un chiffre qui donne le vertige et qui pose question dans un contexte de tension sur les finances publiques.
Autre dispositif dans le viseur des critiques : le Pacte Dutreil. Ce mécanisme permet d’exonérer, sous conditions, jusqu’à 75% la transmission de parts d’entreprises ou d’actions. Initialement conçu pour faciliter la transmission des entreprises familiales, il est aujourd’hui pointé du doigt pour son utilisation par les plus grandes fortunes.
#CashInvestigation Combien le pacte Dutreil coûte-t-il réellement à l’Etat? Depuis 10 ans, il est estimé à 500 millions d’euros par Bercy. Cette niche fiscale aurait-elle été sous-évaluée? Sur la même période, le nombre de pactes signé a été multiplié par trois.… pic.twitter.com/TzMXb7os8m
— CASH INVESTIGATION (@cashinvestigati) November 16, 2023
« Un des tabous est le Pacte Dutreil », considère Layla Abdelké Yakoub, principale auteure du rapport Oxfam. « Elle peut se justifier sur les petites entreprises mais cela peut paraître étrange sur les milliardaires« , ajoute-t-elle. Le coût de cette niche fiscale pour les finances publiques fait débat. Si l’administration l’estime à 500 millions d’euros par an, Oxfam avance le chiffre bien plus élevé de 3 milliards d’euros par an.
Les enjeux de la réforme de la fiscalité sur l’héritage
La question de la fiscalité sur l’héritage des grandes fortunes prend une dimension particulière dans le contexte actuel des finances publiques françaises. Avec un déficit qui se creuse et une dette qui s’envole, chaque euro compte. Les 160 milliards d’euros de manque à gagner estimés par Oxfam sur 30 ans représentent une manne considérable qui pourrait contribuer à assainir les comptes de l’État.
Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France, souligne l’importance de ce débat :
Il y a un casse-tête budgétaire et les débats portent surtout sur les coups de rabot. Le débat sur les recettes est très difficile
Elle ajoute que « la fiscalité sur l’héritage ne doit pas être qu’un débat de techniciens. C’est aussi un débat de justice fiscale ».
Face à cette situation, un consensus se dégage parmi les économistes. Du Conseil d’analyse économique (CAE) à l’OCDE, en passant par des figures reconnues comme Jean Tirole, Olivier Blanchard ou Thomas Piketty, nombreux sont ceux qui plaident pour un renforcement de la taxation sur la transmission du patrimoine des plus riches.
Pascal Saint-Amans, ancien directeur de la fiscalité à l’OCDE, résume ainsi l’enjeu : « La trop grande concentration de richesse sans rotation, qui nourrit elle-même les inégalités, est inefficace économiquement et mine la cohésion des sociétés« . Cette position fait écho aux travaux de Thomas Piketty, qui a démontré que la fiscalité actuelle sur l’héritage a davantage favorisé les inégalités de patrimoine que les inégalités de revenus.
Qui se cache derrière le top 0,1% des héritiers ? 👀
— Oxfam France (@oxfamfrance) September 20, 2024
Nous avons enquêté pour savoir qui sont ces super-héritiers et surtout, comment ils arrivent à échapper aux impôts !
Notre enquête complète 👉 https://t.co/KrkCZOaVdb pic.twitter.com/TRuYVuQWxj
Face à ce constat, diverses propositions de réforme émergent. Oxfam, par exemple, suggère un plafonnement du Pacte Dutreil à 2 millions d’euros. D’autres voix s’élèvent pour une refonte plus globale de la fiscalité sur l’héritage, visant à réduire les niches fiscales tout en préservant la transmission des petites et moyennes entreprises.
Le rapport commandé par Emmanuel Macron aux économistes Jean Tirole et Olivier Blanchard en 2021 allait également dans ce sens, plaidant pour une refonte de la fiscalité sur l’héritage en France. L’objectif : favoriser une économie plus dynamique et moins rentière, en accord avec l’esprit de compétition cher aux économistes proches des cercles macronistes.
Les obstacles politiques à une réforme de l’héritage
Malgré le consensus des experts, la réforme de la fiscalité sur l’héritage reste un sujet politiquement explosif. Cécile Duflot pointe du doigt un « véritable écran de fumée sur les débats », rappelant que « neuf Français sur dix ne touchent pas d’héritage ». Cette réalité contraste avec la perception d’une opinion publique souvent hostile à toute augmentation des droits de succession.
Pourtant, selon un baromètre réalisé par le Conseil des prélèvements obligatoires, 40% des sondés considèrent que les impôts sur les transmissions ne sont pas assez importants. Ce chiffre témoigne d’une évolution de l’opinion publique, peut-être plus disposée qu’on ne le pense à une réforme de la fiscalité sur l’héritage.
Le débat politique sur la fiscalité de l’héritage révèle des clivages profonds entre les différentes formations. Si certains, à l’instar du nouveau Premier ministre Michel Barnier, semblent ouverts à une « plus grande justice fiscale », bien que cela reste à voir, d’autres restent farouchement opposés à toute augmentation d’impôt.
L’un des plus grands défis pour les partisans d’une réforme de la fiscalité sur l’héritage réside dans la communication. Comment expliquer aux Français que cette réforme, qui ne concernerait qu’une infime minorité de super-riches, pourrait bénéficier à l’ensemble de la société ?
Il s’agit de déconstruire certaines idées reçues, comme la crainte d’une fuite des capitaux, tout en mettant en avant les bénéfices potentiels pour les finances publiques et la réduction des inégalités. Un exercice d’équilibriste qui nécessitera une pédagogie sans faille de la part des décideurs politiques.