Résumé :
- Le taux d’annulation des commandes atteint maintenant 40% dans le port de Shanghai depuis l’imposition des droits de douane américains à 145%
- Les chauffeurs routiers et travailleurs portuaires font face à un effondrement soudain de leur activité quotidienne
- Le port de Yangshan, avec ses 24 millions de conteneurs annuels, voit son trafic vers les États-Unis s’effondrer
- La crise frappe une Chine déjà affaiblie par une crise immobilière et un ralentissement économique
- Le méga-port mise sur l’automatisation et cherche à développer de nouvelles routes commerciales en Asie
À Shanghai, un des plus grands ports du monde, les effets de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis sont déjà tangibles. Des chauffeurs de poids lourds attendent désormais en vain, leurs cargaisons annulées suite à l’imposition de droits de douane à 145% par l’administration Trump. Les observations sur place mettent en évidence des annulations massives de commandes destinées au marché américain, modifiant tristement le quotidien de ces travailleurs.
À environ 110 kilomètres de la mégalopole chinoise, le port en eaux profondes de Yangshan, qui a traité 24 millions de conteneurs en 2024, est devenu le symbole visible des répercussions de cette nouvelle guerre commerciale. Depuis l’entrée en vigueur des mesures protectionnistes américaines, l’ensemble du système exportateur chinois vacille, avec des conséquences immédiates sur l’économie locale.
Commandes annulées et camions vides : le désarroi des transporteurs de Shanghai
Pour de nombreux chauffeurs routiers, le temps des commandes abondantes est révolu. Plusieurs d’entre eux patientent au volant de leurs camions vides, scrutant leurs téléphones à la recherche d’opportunités de transport. Les entretiens menés sur place révèlent une situation préoccupante : les annulations dans les ports chinois atteignent désormais 30% à 40%, contre à peine quelques pourcentages avant les mesures américaines.
Ce phénomène touche particulièrement les conducteurs originaires des provinces intérieures comme le Henan, région relativement pauvre du centre de la Chine. Beaucoup ont laissé leurs familles pour venir travailler dans les zones portuaires. Aujourd’hui, on observe une réorientation forcée de leur activité vers d’autres destinations comme le Japon, signe d’un changement obligé dans les flux commerciaux chinois.
Du Yu, directrice générale de Drewry China, cabinet de recherche spécialisé dans le transport maritime, confirme que le taux d’annulation dans les ports chinois atteint désormais 30% à 40%. Dans un secteur où l’annulation est normalement le dernier recours, ce chiffre témoigne de la gravité de la situation.
Selon l’Organisation Mondiale du Commerce, le commerce de marchandises entre la Chine et les États-Unis pourrait chuter de 80% sans accord rapide entre les deux puissances.
Dans les entrailles d’un géant maritime en difficulté
Le port en eaux profondes de Yangshan s’étend à perte de vue. Les conteneurs s’empilent sur plusieurs mètres, formant une véritable ville de blocs multicolores. Les plus grandes entreprises maritimes mondiales y opèrent : Hamburg Süd, Maersk, Evergreen, CMA CGM, Safmarine, Wan Hai, Hapag-Lloyd… Leurs navires desservent habituellement 350 routes reliant 700 ports dans 200 pays.
Comparaison des grands ports mondiaux (2024) | |
Port | Conteneurs traités |
Yangshan (Shanghai) | 24 millions |
Rotterdam | 14 millions |
Hambourg | 8 millions |
Los Angeles | 10 millions |
Singapour | 37 millions |
Entre les conteneurs, les allées sont si étroites qu’une personne s’y déplace avec difficulté. Au-delà s’étend la mer de l’Est et l’archipel de Zhoushan, avec son millier d’îles et d’îlots, dans une étendue jalonnée d’éoliennes qui se fondent à l’horizon. Ce paysage industriel imposant dissimule désormais une activité au ralenti.
Il est pratiquement impossible de distinguer à l’œil nu les conteneurs vides des pleins, ou ceux en attente d’expédition de ceux bloqués par les droits de douane. Mais les données collectées auprès des opérateurs portuaires sont sans appel : les expéditions vers les États-Unis s’effondrent, contraignant les compagnies maritimes à repenser totalement leurs itinéraires.
Les chiffres illustrent clairement cette tendance. En 2024, le trafic de conteneurs dans le port a augmenté de seulement 4%, contre plus de 7% en 2019, avant la pandémie. Ce ralentissement s’est intensifié depuis les nouveaux droits de douane. L’infrastructure géante traverse aujourd’hui sa plus grave crise depuis la période Covid.
Les travailleurs portuaires, premières victimes de la double crise
Cette nouvelle politique douanière américaine survient à un moment où l’économie chinoise fait déjà face à de sérieuses difficultés : croissance en berne, secteur immobilier en crise et dépenses des ménages qui stagnent.
Dans les aires de stationnement du port, des chauffeurs préparent leurs repas sur de petits réchauds posés au sol. Ce détail témoigne du déclassement social qui touche ces travailleurs depuis plusieurs mois. Selon les informations recueillies, beaucoup pouvaient auparavant se permettre de manger au restaurant. Aujourd’hui, certains vivent même dans leur véhicule avec leur famille, illustrant des difficultés économiques qui précédaient déjà les nouveaux droits de douane.
Impact de la crise sur les travailleurs du port :
- Baisse des revenus de 30 à 50% pour les chauffeurs
- Temps d’attente entre deux chargements multiplié par trois
- Conditions de vie dégradées (repas, logement, précarité)
- Incertitude grandissante sur l’avenir professionnel
- Pression accrue pour accepter des trajets moins rémunérateurs
Cette situation met en lumière un phénomène plus large : les usines peinent à être rentables, et ces difficultés se répercutent directement sur la main-d’œuvre. Parallèlement, les mesures de soutien économique gouvernementales ne semblent pas atteindre efficacement ces travailleurs de première ligne.
La banque Citi prévoit que les exportations chinoises pourraient baisser de 5% cette année, après une hausse de 6% en 2024. La croissance du PIB chinois pourrait tomber à 4,2%, sous l’objectif officiel de 5%. Cette situation économique défavorable se traduit par une précarisation des travailleurs du port, pris entre la crise nationale et la guerre commerciale.
Face à cela, Pékin devra sans doute renforcer ses mesures de soutien économique. Mais pour les travailleurs portuaires, la question reste de savoir si ces mesures amélioreront leur quotidien ou si elles continueront à ne pas les atteindre.
La transformation technologique pour survivre
Face à ces défis, le port de Yangshan accélère sa mutation technologique. Un des six docks est presque entièrement automatisé. Les conteneurs sont déplacés et chargés sur les navires par d’immenses portiques autonomes glissant sur des rails. Ces géants d’acier sont surveillés à distance par une tour de contrôle semblable à celle d’un aéroport, illustrant l’évolution rapide des méthodes de travail.
Cette automatisation, conçue initialement pour améliorer l’efficacité, devient maintenant une stratégie de survie dans ce contexte de guerre commerciale. En réduisant la dépendance à la main-d’œuvre, le port cherche à maintenir sa compétitivité malgré les droits de douane américains prohibitifs.
Parallèlement, Yangshan développe de nouvelles routes maritimes, principalement vers l’Asie du Sud-Est et les marchés africains émergents. L’optimisation logistique et la restructuration des terminaux pour accueillir des navires plus grands font également partie des tactiques adoptées. La carte du commerce maritime mondial change rapidement, avec le port de Shanghai comme avant-poste de cette transformation.
Cette réorientation s’inscrit dans une volonté de diversification commerciale menée par la Chine. Le pays a déjà diminué sa dépendance aux États-Unis, qui ne représentent plus que 14% de ses exportations totales. Toutefois, accélérer encore cette diversification demeure un challenge considérable pour une infrastructure aussi vaste que le port de Yangshan.
Alors que l‘OMC anticipe une possible chute de 80% du commerce sino-américain, le port de Shanghai révèle les défis concrets qui attendent l’économie chinoise. Entre adaptation technologique et difficultés sociales, les effets de cette guerre commerciale marquent déjà le quotidien des travailleurs chinois.
Si la Chine dispose de moyens pour répondre – notamment sa position de deuxième créancier des États-Unis, sa capacité à ajuster sa monnaie, ou son contrôle des terres rares – c’est d’abord sur son territoire que les conséquences se font sentir. La question n’est plus de savoir si cette guerre commerciale aura un impact, mais combien de temps la Chine et ses travailleurs tiendront face à ce choc.
Pour les milliers de chauffeurs et travailleurs portuaires, l’avenir proche reste incertain. Leurs situations personnelles illustrent une réalité plus large : derrière les statistiques et les décisions politiques se trouvent des millions de vies affectées. Au-delà des enjeux géopolitiques, l’affrontement entre les deux premières économies mondiales pourrait transformer durablement non seulement les routes commerciales internationales, mais aussi le tissu social de la Chine contemporaine.