Bien que l’impôt sur le revenu soit effectivement relativement bas en France, cette donnée ne reflète pas la pression fiscale globale. En réalité, lorsqu’on prend en compte l’ensemble des prélèvements obligatoires, dont les cotisations sociales, la France se situe parmi les pays avec la plus forte pression fiscale en Europe.
Cette situation soulève de nombreuses questions : le système fiscal français est-il vraiment plus lourd qu’ailleurs, ou offre-t-il des contreparties qui justifient son niveau ? Pourquoi cette impression de toujours payer trop d’impôts ? À l’heure où le pouvoir d’achat est au cœur des préoccupations des Français, comprendre les tenants et aboutissants de la pression fiscale devient essentiel.
Souvent, cette impression d’être trop imposé ne vient pas seulement des impôts eux-mêmes, mais du fait qu’il ne reste plus assez d’argent pour vivre. L’impôt, dans ce contexte, devient la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Mais si l’on se compare aux autres pays d’Europe, le salaire disponible après impôts en France est-il réellement plus faible qu’ailleurs ? La réponse est non. Le reste pour vivre n’est pas plus faible en France, mais il n’est pas non plus plus élevé qu’ailleurs.
La France se positionne en 11e position en termes de salaire mensuel disponible, net de charges, c’est-à-dire dans une position intermédiaire par rapport à nos voisins européens.
Pourtant, on a souvent l’impression que les prix des produits en France sont plus élevés qu’ailleurs. Cela pourrait-il être dû à un taux de TVA plus important ?
TVA : l’impôt invisible
La TVA, ou Taxe sur la Valeur Ajoutée, est effectivement un impôt « invisible » mais omniprésent dans notre vie quotidienne. Contrairement à l’impôt sur le revenu qui est prélevé directement sur nos salaires, la TVA s’applique à chaque achat que nous effectuons, ce qui la rend moins perceptible mais tout aussi impactante sur notre pouvoir d’achat.
En France, le système de TVA est relativement complexe avec ses quatre taux différents : 20% (taux normal), 10% (taux intermédiaire), 5,5% (taux réduit) et 2,1% (taux particulier). Cette structure permet une certaine progressivité de l’impôt, les produits de première nécessité étant moins taxés que les produits de luxe par exemple.
Quand on compare la situation française à celle d’autres pays européens, on constate que la France n’est pas particulièrement atypique. Son taux normal de 20% est dans la moyenne européenne, certains pays comme la Suède (25%) ou le Danemark (25%) ayant des taux plus élevés, tandis que d’autres comme l’Allemagne (19%) ont des taux légèrement inférieurs.
L’impact moyen de la TVA sur le budget des ménages français (158€ par mois, soit 6% du salaire net disponible) est également comparable à la moyenne européenne qui se situe autour de 7%. Cette similitude s’explique en partie par le fait que la TVA est un impôt harmonisé au niveau européen, avec des règles communes fixées par l’Union Européenne.
Pays | Taux normal | Taux intermédiaire | Taux réduit | Taux super réduit | % moyen du salaire net |
---|---|---|---|---|---|
France | 20% | 10% | 5.5% | 2.1% | 6% |
Allemagne | 19% | - | 7% | - | 6% |
Royaume-Uni | 20% | - | 5% | 0% | 14% |
Espagne | 21% | 10% | 4% | - | 10% |
Italie | 22% | 10% | 5% | 4% | 7% |
Suède | 25% | 12% | 6% | - | 10% |
Danemark | 25% | - | - | - | 13% |
Pays-Bas | 21% | - | 9% | - | 9% |
Donc, en résumé, nous ne payons pas plus d’impôt sur le revenu qu’ailleurs, et nos dépenses en TVA ne sont pas non plus plus élevées. Alors, pourquoi entend-on si souvent dire que la France est le pays où l’on est le plus taxé ? Cela pourrait-il être dû aux cotisations sociales ?
Cotisations sociales : le vrai fardeau des entreprises
Notre modèle social français comprend le droit à la retraite pour tous, la gratuité des soins, l’assurance chômage… Ce système a un coût. En France, le montant des cotisations sociales dépasse souvent le salaire net disponible. Autrement dit, chaque mois, une entreprise paie plus de cotisations sociales que ce que chaque Français gagne réellement.
Lorsqu’une entreprise paie un salarié, elle ne se contente pas de verser son salaire net. Elle verse également des cotisations sociales à l’URSSAF pour les allocations familiales, la couverture maladie, le chômage, et la retraite de base. De plus, elle contribue à une caisse de retraite complémentaire et, souvent, à une mutuelle pour la couverture santé complémentaire.
Ainsi, lorsque vous recevez 2 187 € net, l’employeur verse en réalité 2 222 € supplémentaires en cotisations sociales. En comparaison, la moyenne en Europe pour les cotisations sociales est de 855 €, avec des pays comme l’Autriche et l’Allemagne où les employeurs paient respectivement 2019 € et 1 848 € en cotisations. Mais, à l’inverse, au Danemark, les cotisations sociales ne s’élèvent qu’à 38 € par mois.
Cela peut sembler incroyable, mais ce n’est pas parce que les Danois ne payent pas de cotisations sociales. En réalité, au Danemark, on considère que les cotisations sociales sont en fait une forme d’impôt, ce qui change la manière dont on finance ces prestations. Le système danois de protection sociale, souvent appelé « modèle nordique », est principalement financé par l’impôt sur le revenu et la TVA, plutôt que par des cotisations sociales directes.
Aspect | France | Danemark |
---|---|---|
Financement principal | Cotisations sociales | Impôts (revenu et TVA) |
Taux d'imposition moyen | Environ 45% | Environ 55% |
Cotisations sociales employeur | Élevées (>40% du salaire brut) | Très faibles (<2% du salaire brut) |
Éducation supérieure | Peu coûteuse | Gratuite + allocation étudiante |
Taux de remplacement chômage | 57% du salaire de référence | Jusqu'à 90% du salaire précédent |
Assurance maladie | Universelle, financée par cotisations sociales et CSG, un reste à charge d’environ 7% | Universelle, financée par impôts, un reste à charge d’environ 14% |
Retraite | Système par répartition, âge légal 62 ans, taux de remplacement d’environ 74% | Système mixte, âge légal 67 ans, taux de remplacement d’environ 84% |
Cette approche de financement par l’impôt permet au Danemark de maintenir un haut niveau de services sociaux tout en réduisant la charge directe sur les employeurs. Cependant, cela se traduit par des taux d’imposition plus élevés pour les individus.
La comparaison des structures de coûts salariaux et de pouvoir d’achat entre la France et le Danemark révèle des approches distinctes de financement des services publics et de la protection sociale, illustrant les choix différents de modèles sociaux en Europe.
France | Danemark | |
Coût moyen employeur d’un salarié | 4 954€ | 5 258€ |
Charges patronales | – 1 493€ | – 25€ |
Charges salariales | – 822€ | – 12€ |
Impôt sur le revenu | – 204€ | – 1 835€ |
TVA | – 158€ | – 275€ |
Pouvoir d’achat réel | = 2 277€ | = 3 111€ |
Bien que le système de prélèvements français serve à financer un modèle social généreux, il a un impact direct sur le pouvoir d’achat des ménages. Les prélèvements représentant près de 43% des dépenses totales, combinés aux coûts de la vie courante, peuvent laisser peu de marge pour l’épargne et renforcer la perception d’une fiscalité lourde, malgré les services publics financés par cette même fiscalité.
Solidarité nationale : la France victime de son propre modèle ?
Après avoir examiné en détail le fonctionnement du système fiscal et social français, il est légitime de s’interroger sur ses effets concrets sur la vie des citoyens. Comment ce modèle de solidarité nationale influence-t-il réellement le niveau de vie et l’espérance de vie des Français, notamment par rapport à d’autres pays européens qui ont fait des choix différents ?
Ce sentiment de forte pression fiscale est renforcé par un biais cognitif : on se souvient de tout ce que l’on paie, mais on ne valorise pas suffisamment tout ce que l’on reçoit en échange. Pourtant, chacun bénéficie de prestations importantes :
- Pour une personne aux revenus les plus faibles, les aides commencent à environ 2 000 € par an.
- Pour les 10 % des Français les plus riches, elles peuvent atteindre 16 000 €.
Au-delà des aides directes, les services publics représentent une économie substantielle pour chaque citoyen :
- La santé : environ 4 000 € par an par personne
- L’éducation nationale : environ 2 300 € par an
- Autres services publics (police, justice, nettoyage des rues) : environ 850 € par an
Au total, chaque Français économise entre 11 000 € et 16 000 € grâce aux services publics gratuits ou quasi-gratuits. En somme, si l’on prend en compte les différents types de revenus et de prélèvements, un Français qui ne touche que 10 000 € par an reçoit en réalité plus d’aides et de services qu’il ne paie d’impôts. Il peut même considérer qu’il gagne 16 000 € supplémentaires grâce à la redistribution du système français.
Indicateur | France | Allemagne |
Données économiques et fiscales | ||
Salaire complet (coût employeur) | 59 458 € | 66 710 € |
Pouvoir d’achat réel (net de charges, impôts et TVA) | 27 326 € | 32 525 € |
Taux de pression sociale et fiscale | 54,0% | 51,2% |
Indicateurs de qualité de vie | ||
Indice de Développement Humain (IDH) 2021 | 0,901 | 0,942 |
Espérance de vie (2021) | 82,5 ans | 80,9 ans |
Coefficient de Gini (2018) | 28,9 | 31,9 |
Système de santé | ||
Dépenses de santé (% du PIB, 2020) | 11,3% | 11,7% |
Couverture santé | Universelle | Obligatoire |
Éducation | ||
Dépenses d’éducation (% du PIB, 2018) | 5,4% | 4,9% |
Frais universitaires moyens (public) | 170 € / an | Gratuit (frais administratifs) |
Système de retraite | ||
Âge légal de départ | 62 ans | 65-67 ans |
Taux de remplacement moyen | 74% | 51% |
Système | Par répartition | Mixte (répartition et capitalisation) |
Bien que le salaire complet soit plus élevé outre-Rhin, l’écart se creuse davantage lorsqu’on considère le pouvoir d’achat réel. Après déduction des charges, impôts et TVA, le salarié moyen allemand dispose annuellement de 5 199 € de plus que son homologue français pour ses dépenses et son épargne.
Le modèle de solidarité nationale français présente un paradoxe apparent : un coût élevé pour les contribuables, mais des avantages sociaux significatifs. La pression fiscale et sociale de 54% en France, supérieure à celle de l’Allemagne (51,2%), se traduit par un pouvoir d’achat inférieur pour les Français. Cependant, cette contribution plus importante finance un système social plus généreux et égalitaire.
Les bénéfices de ce modèle sont tangibles :
- Une espérance de vie plus élevée, témoignant d’un système de santé efficace.
- Des inégalités moins marquées, favorisant la cohésion sociale.
- Un accès quasi gratuit à l’enseignement supérieur, facilitant la mobilité sociale.
- Un système de retraite plus avantageux, assurant un meilleur niveau de vie aux seniors.
La redistribution est au cœur de ce système. Les Français gagnant moins de 50 000 € par an sont bénéficiaires nets, recevant plus qu’ils ne contribuent. En revanche, les hauts revenus supportent une charge plus importante, finançant une grande partie du système. Ce modèle, bien que coûteux, vise à garantir un certain niveau de vie et de protection sociale à l’ensemble de la population.
Cependant, l’étude de l’Ifop pour Contribuable Associés montre que 66% des Français considèrent le montant des impôts et taxes qu’ils paient comme « trop important », dont 29% le jugent « excessif ». Concernant la satisfaction envers les services publics, l’étude révèle que seulement 30% des Français sont satisfaits de la qualité des services publics par rapport aux impôts payés, contre 59% de mécontents. Cette insatisfaction est particulièrement marquée dans certains secteurs :
- Santé : 81% des Français estiment que la qualité des services hospitaliers s’est dégradée ces dernières années.
- Éducation : 74% perçoivent une dégradation dans ce domaine.
- Sécurité : 68% notent une détérioration.
L’étude démontre également les priorités des Français en termes de financement public. L’assurance maladie et la santé arrivent en tête (54% des citations), suivies de l’éducation (46%) et de la sécurité et défense (30%). Ces priorités reflètent les préoccupations principales des citoyens et peuvent expliquer en partie le niveau élevé des dépenses publiques en France.
Ces chiffres soulèvent des questions importantes sur l’adéquation entre le niveau élevé de prélèvements et la qualité perçue des services publics. Ils mettent en lumière un défi majeur pour le modèle social français : comment maintenir un haut niveau de protection sociale tout en améliorant l’efficacité et la perception des services publics ?
Le système fiscal français : quel équilibre pour demain ?
Au vu de ces comparaisons et analyses du système fiscal français, il est clair que le débat sur la pression fiscale et son impact sur l’économie et la société reste d’actualité. Dans ce contexte, certains mouvements politiques proposent des réformes significatives du système fiscal. C’est notamment le cas du Nouveau Front Populaire (NFP). Leur programme fiscal, s’il était mis en œuvre, renforcerait notamment la progressivité de l’impôt et augmenterait la pression fiscale sur les hauts revenus, tout en allégeant la charge pour les bas revenus.
Selon les simulations de la Fondation IFRAP, ce programme entraînerait une augmentation globale de 20% des prélèvements directs sur les ménages, principalement concentrée sur les 30% des foyers les plus aisés. Le taux de prélèvement moyen augmenterait de 3,6 points, avec des impacts variés selon les niveaux de revenus. Ces propositions s’inscrivent dans la continuité du modèle social français, en cherchant à renforcer la redistribution et à financer des services publics étendus. Cependant, elles soulèvent également des questions sur l’attractivité économique et la compétitivité de la France, dans un contexte où le pays figure déjà parmi ceux ayant la plus forte pression fiscale en Europe.
Ce débat entre justice sociale et efficacité économique, qui est au cœur de la proposition du NFP, reflète les tensions et les choix auxquels la France est confrontée dans l’évolution de son modèle fiscal et social. Il illustre la complexité de trouver un équilibre entre la préservation d’un système de protection sociale généreux et la nécessité de maintenir une économie dynamique et compétitive.
Sources
- https://taxfoundation.org/research/all/global/2023-international-tax-competitiveness-index/
- https://taxfoundation.org/wp-content/uploads/2023/10/TF-ITCI23-Book_16-10_FV.pdf
- https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/la-pression-fiscale-dans-l-union-europeenne/
- https://www.institutmolinari.org/2024/07/17/la-pression-sociale-et-fiscale-reelle-du-salarie-moyen-au-sein-de-lue-en-2024/
- https://www.statista.com/statistics/557777/average-annual-salaries-in-europe/
- https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/30_RPC/31_RNP#:~:text=En%202022%2C%20en%20France%20m%C3%A9tropolitaine,de%20moins%20de%2014%20ans.
- https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/le-programme-fiscal-du-nfp-ferait-monter-de-20-les-impots-directs-des-menages#:~:text=En%202023%2C%20ces%20derniers%20%C3%A9taient%20impos%C3%A9s%20%C3%A0%2025%2C3%25,imp%C3%B4t%2C%20soit%201%20490%20euros.
- https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-les-impots-au-regard-des-services-publics-rendus/