Résumé :
- L’AMF oblige Vincent Bolloré à lancer une OPR sur Vivendi dans les 6 mois, car sa participation dépasse le seuil de 30% (29,9% + 3,7% d’actions autodétenues)
- La Commission européenne accuse Vivendi d’avoir pris le contrôle de Lagardère avant l’autorisation officielle d’octobre 2022, avec une influence éditoriale sur Paris Match, le JDD et Europe 1
- Vivendi risque une amende jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires (soit potentiellement 29 millions d’euros sur la base du CA 2024 post-scission)
- La scission de Vivendi fin 2024 en 4 entités (Canal+, Havas, Louis Hachette Group et la holding) n’a pas permis à Bolloré d’éviter l’OPR comme espéré
- Le groupe conteste les deux décisions et compte répondre aux accusations pour éviter les sanctions
Une manœuvre qui se retourne contre son architecte
L’Autorité des marchés financiers vient de contraindre Bolloré à faire exactement ce qu’il cherchait à éviter : racheter l’intégralité des actions Vivendi. Le gendarme boursier français a tranché : en détenant 29,9% du capital directement, auxquels s’ajoutent 3,7% d’actions autodétenues par le groupe, le seuil fatidique des 30% est franchi. Résultat ? Une offre publique de retrait obligatoire dans les six mois.
Cette décision fait suite à la plainte du fonds CIAM, actionnaire minoritaire qui n’a pas digéré la scission orchestrée fin 2024. Une opération complexe qui avait vu Vivendi se découper en quatre morceaux : Canal+ filant à Londres, Havas s’installant à Amsterdam, Louis Hachette Group restant à Paris sur Euronext Growth, et la holding mère demeurant sur la place parisienne.
La Commission européenne entre dans la danse
Mais la journée noire ne s’arrête pas là. En fin d’après-midi, Bruxelles a porté un second coup en accusant Vivendi d’avoir pris le contrôle de Lagardère de manière anticipée, sans attendre le feu vert officiel d’octobre 2022. L’enquête européenne révèle des pratiques troublantes : surveillance étroite des décisions éditoriales, interventions directes sur les couvertures de Paris Match et du Journal du dimanche, mainmise sur les recrutements et licenciements à Europe 1.
Les exemples sont édifiants. L’arrivée de Laurence Ferrari à la tête de Paris Match en septembre 2022, remplaçant Bruno Jeudy qui avait osé critiquer certains choix éditoriaux, avait déjà fait grincer des dents. Le rapprochement forcé entre Europe 1 et CNews avait provoqué une grève historique et une vague de départs.
Une addition potentiellement salée
L’amende européenne pourrait atteindre 10% du chiffre d’affaires annuel. Avec 292 millions d’euros de revenus en 2024 après la scission (contre 10 milliards avant l’opération), la facture reste substantielle. Sans compter les indemnités potentielles aux actionnaires minoritaires si l’OPR se concrétise.
Face à cette double offensive, Vivendi contre-attaque et conteste fermement les accusations. Le groupe assure qu’il répondra point par point pour obtenir la clôture de l’enquête européenne. Mais pour l’homme d’affaires habitué à mener la danse, cette fois, ce sont les régulateurs qui imposent le tempo.
L’affaire illustre les limites d’une stratégie de contrôle qui flirte avec les lignes rouges réglementaires. Entre l’obligation de racheter ce qu’il ne voulait pas acquérir et les accusations d’ingérence éditoriale prématurée, l’empire Bolloré découvre que même les architectures les plus sophistiquées peuvent se retourner contre leurs concepteurs.