Résumé :
- Le « shadow banking » représente 250 000 milliards de dollars (49% des actifs financiers mondiaux), avec des hedge funds gérant 15 fois plus d’actifs qu’en 2008
- Les hedge funds utilisent un effet de levier extrême (jusqu’à 100 fois leur capital) pour des stratégies comme le « basis trade » (800 milliards $), créant un risque systémique significatif
- Les prêts aux institutions du shadow banking ont dépassé 1 200 milliards de dollars, constituant le segment à plus forte croissance du système bancaire américain
- Plusieurs experts, dont Michael Green (Simplify Asset Management), estiment que le risque d’une crise comparable à 2008 est très élevé
- Les régulateurs font face à un dilemme : renforcer la surveillance pourrait réduire la liquidité des marchés, mais une régulation insuffisante accroît les risques de contagion
Le colosse aux pieds d’argile
250 000 milliards de dollars. C’est le montant absurde que représente aujourd’hui le « shadow banking » selon le Financial Stability Board. Presque la moitié (49%) des actifs financiers de la planète échappe désormais au cadre réglementaire traditionnel.
Au cœur de ce système, les hedge funds ont pris une ampleur sans précédent. Ces fonds d’investissement alternatifs gèrent désormais 15 fois plus d’actifs qu’en 2008, année de la dernière grande crise financière. Leur croissance fulgurante s’explique en partie par le vide laissé par les banques d’investissement traditionnelles, contraintes par la règle Volcker (issue de la loi Dodd-Frank) à abandonner certaines activités spéculatives.
« Si ces fonds s’effondrent, cela va affecter d’autres parties du système financier, y compris les banques, puis se répercuter sur l’économie réelle. »
Itay Goldstein, président du département finance de la Wharton School.
L’effet de levier, cette arme à double tranchant
Ce qui rend les hedge funds particulièrement dangereux, c’est leur utilisation massive de l’effet de levier. Pour maximiser leurs profits sur des écarts de prix minuscules, ils empruntent parfois jusqu’à 100 fois leur capital initial.
Prenons l’exemple du « basis trade », une stratégie d’arbitrage qui représente aujourd’hui près de 800 milliards de dollars. Les hedge funds achètent des bons du Trésor américain et vendent simultanément des contrats à terme liés à ces mêmes obligations. Cette pratique aide théoriquement à fluidifier les marchés, mais repose sur un château de cartes d’endettement.
Quand les marchés s’agitent, comme récemment après l’annonce chaotique des nouveaux tarifs douaniers par Donald Trump, ces positions ultra-endettées doivent être liquidées en urgence. C’est alors tout le marché obligataire qui peut s’enrayer, avec des conséquences potentiellement catastrophiques pour l’économie mondiale.
Les banques et le shadow banking : dangereux liens
Une révélation particulièrement inquiétante émerge des données récentes de la Réserve fédérale américaine : les prêts aux institutions comme les hedge funds, les sociétés de private equity et de crédit constituent désormais le segment à la plus forte croissance du système bancaire américain, dépassant 1 200 milliards de dollars.
Michael Green, stratège chez Simplify Asset Management et ancien gestionnaire de fonds pour George Soros et Peter Thiel, est catégorique : « La probabilité d’une catastrophe comparable à 2008 est dramatiquement plus élevée ».
Cette interconnexion croissante entre banques traditionnelles et shadow banking expose l’ensemble du système à un risque de contagion systémique. Si une crise de liquidité frappe les hedge funds, les banques qui leur ont prêté seraient immédiatement impactées.
L’histoire se répète-t-elle ?
Ce n’est pas la première fois que le système financier frôle l’abîme à cause d’acteurs non bancaires. En 1998, le hedge fund Long-Term Capital Management, qui détenait environ 5% des actifs obligataires mondiaux, a subi des pertes insoutenables après le défaut de la Russie sur sa dette.
Pour éviter une catastrophe, le gouvernement américain avait orchestré un plan de sauvetage de 3,6 milliards de dollars, une somme colossale à l’époque, impliquant les principales banques de Wall Street.
« Les expositions auxquelles nous faisons face aujourd’hui sont bien plus importantes que cela, » souligne Itay Goldstein.
Dix ans plus tard, c’était au tour de Lehman Brothers et Bear Stearns de s’effondrer, menaçant d’emporter avec eux l’ensemble du système bancaire américain.
Le dilemme du régulateur
Face à cette menace grandissante, les régulateurs se trouvent dans une position délicate. Renforcer la surveillance des hedge funds pourrait limiter leur capacité à assurer la liquidité des marchés. Mais les laisser opérer sans contrôle fait planer un risque de contagion généralisée.
Certains universitaires proposent que la Réserve fédérale américaine mette en place une facilité de prêt spécifique pour les hedge funds, afin de prévenir les crises de liquidité sur le marché des bons du Trésor. Mais cette solution semble peu probable dans un contexte politique où les républicains au Congrès cherchent plutôt à réduire l’intervention gouvernementale dans le secteur financier.
Une transparence indispensable
Pour Amit Seru, la clé réside dans la transparence, tant sur les marchés publics que privés. Si les hedge funds prennent des risques considérables, il est crucial de savoir s’ils sont liés à des prêteurs bénéficiant de garanties gouvernementales, comme les grandes banques de Wall Street.
« Il faut être humble quant à ce que les régulateurs et les marchés peuvent détecter, » ajoute-t-il, « et réaliser qu’il y aura des problèmes dans les deux secteurs. »
La chute de Silicon Valley Bank en 2023 a démontré que même les institutions hautement régulées peuvent s’effondrer de manière inattendue. Dans le monde bien plus opaque des hedge funds, les risques sont d’autant plus difficiles à évaluer.
Alors que le monde se préoccupe des tensions géopolitiques et des défis climatiques, c’est peut-être dans l’ombre du système financier que se prépare la prochaine grande crise. Une crise qui, cette fois, pourrait être trop vaste pour être contenue.