Résumé :
- Elon Musk s’oppose publiquement au projet de loi fiscal de Trump « One Big, Beautiful Bill », marquant une rupture spectaculaire avec l’administration qu’il avait soutenue financièrement
- Le Congressional Budget Office estime que le projet créerait un déficit de 2,4 billions de dollars sur dix ans, avec 10,9 millions d’Américains supplémentaires privés d’assurance maladie d’ici 2034
- Musk utilise sa plateforme X et ses 220 millions d’abonnés pour lancer un appel à « tuer le projet de loi », contactant directement les élus pour faire pression contre l’adoption
- Le projet adopté par une seule voix à la Chambre révèle des failles du processus législatif, avec des élus admettant avoir voté sans comprendre certaines sections du texte
- Cette bataille illustre les tensions entre pouvoir économique et pouvoir politique, questionnant l’influence des grandes fortunes sur les décisions démocratiques américaines
L’objet de cette discorde ? Un projet de loi fiscal que Trump présente comme son chef-d’œuvre politique, baptisé « One Big, Beautiful Bill ». Mais derrière ce nom ronflant se cache une bombe à retardement qui pourrait faire exploser les finances américaines et redessiner l’échiquier politique pour les années à venir.
La rupture spectaculaire entre deux géants
L’alliance entre Musk et Trump aura finalement duré moins d’une année. Après avoir massivement financé la campagne présidentielle de 2024, le patron de Tesla et SpaceX retourne aujourd’hui ses armes contre son ancien protégé. La brutalité de cette volte-face laisse pantois les observateurs politiques.
Sur sa plateforme X, devant ses 220 millions d’abonnés, Musk ne mâche plus ses mots. « Cette énorme et scandaleuse facture du Congrès remplie de clientélisme est une abomination dégoûtante », a-t-il écrit, déclenchant une véritable campagne de mobilisation populaire. « Appelez votre sénateur, appelez votre député. Mettre l’Amérique en faillite n’est PAS acceptable ! TUEZ LE PROJET DE LOI. »
Cette sortie fracassante marque un tournant historique. Jamais un homme d’affaires de cette envergure n’avait défié aussi ouvertement un président qu’il avait lui-même soutenu. Ross Gerber, investisseur influent et critique récurrent de Musk, n’a pas manqué de souligner l’ironie de la situation : « Incroyable, Elon s’attaque maintenant à toutes les personnes qu’il a aidées à porter au pouvoir. Cela devrait bien se passer pour Tesla, j’en suis sûr. »
<blockquote class= »twitter-tweet »><p lang= »en » dir= »ltr »>Call your Senator, <br>Call your Congressman,<br><br>Bankrupting America is NOT ok!<br><br>KILL the BILL</p>— Elon Musk (@elonmusk) <a href= »https://twitter.com/elonmusk/status/1930336497208832059?ref_src=twsrc%5Etfw »>June 4, 2025</a></blockquote> <script async src= »https://platform.twitter.com/widgets.js » charset= »utf-8″></script>
Un projet de loi qui fait trembler les finances américaines
Au centre de cette bataille, le « One Big, Beautiful Bill » de Trump révèle sa véritable nature : un cocktail explosif de réductions fiscales et de coupes budgétaires qui pourrait transformer radicalement l’économie américaine. Les chiffres du Congressional Budget Office, organisme non partisan chargé d’évaluer l’impact budgétaire des projets de loi, donnent le vertige.
Le projet créerait un déficit supplémentaire de 2 400 milliards de dollars sur la prochaine décennie. Pour mettre cette somme en perspective, cela représente l’équivalent du produit intérieur brut de l’Italie, ou plus de 70% de l’intégralité de la dette française. La mécanique est implacable : 3 670 milliards de dollars de revenus fédéraux en moins, partiellement compensés par 1 250 milliards de dollars de coupes dans les dépenses.
Cette arithmétique budgétaire dissimule des choix politiques brutaux. Les réductions de dépenses visent principalement Medicaid et les programmes d’aide alimentaire, touchant directement les populations les plus vulnérables. Le Congressional Budget Office estime que 10,9 millions d’Américains supplémentaires se retrouveraient sans assurance maladie d’ici 2034, dont 1,4 million de personnes sans statut de citoyenneté vérifié.
L’extension controversée des réductions fiscales de 2017
Le cœur du projet repose sur l’extension des réductions fiscales adoptées en 2017 lors du premier mandat de Trump. Ces mesures, initialement temporaires, avaient déjà creusé le déficit américain. Leur prolongation représente un pari économique majeur : celui que la croissance générée par ces allègements fiscaux compensera les pertes de revenus pour l’État.
Musk, pourtant bénéficiaire potentiel de ces mesures en tant que dirigeant d’entreprise, dénonce aujourd’hui leur coût exorbitant. « Nous avons besoin d’un nouveau projet de loi qui ne creuse pas le déficit », a-t-il martelé sur X. « Un nouveau projet de dépenses devrait être rédigé qui n’augmente pas massivement le déficit et n’élève pas le plafond de la dette de 5 000 milliards de dollars. »
Une Maison Blanche sur la défensive
Face à cette levée de boucliers, l’administration Trump tente de maintenir le cap. Karoline Leavitt, porte-parole de la Maison Blanche, a balayé les projections du Congressional Budget Office d’un revers de main, accusant l’organisme d’être devenu « partisan et politique ». Selon elle, les analystes budgétaires n’auraient pas contribué aux candidats républicains depuis 2000, alors que beaucoup auraient fait des dons aux démocrates.
Cette stratégie de discréditation des institutions n’est pas nouvelle dans l’arsenal trumpien, mais elle prend une résonance particulière face à l’ampleur des critiques. Le président lui-même reste pour l’instant silencieux sur la polémique, mais son entourage fait savoir qu’il maintient son soutien au projet. « Cela ne change pas l’opinion du président. C’est un gros et beau projet de loi, et il s’y tient », a déclaré Leavitt.
Mike Johnson, le président de la Chambre des représentants, reconnaît néanmoins les tensions. Il a confirmé avoir discuté avec Trump de la situation, révélant que le président n’était « pas ravi qu’Elon ait fait un virage à 180 degrés ». Johnson a également adopté une ligne d’attaque similaire contre le Congressional Budget Office, affirmant que 84% de ses analystes budgétaires étaient des « démocrates partisans » qui font des dons à « Bernie Sanders et Elizabeth Warren ».
Les failles du processus législatif mises à nu
Au-delà des enjeux budgétaires, cette polémique révèle des dysfonctionnements troublants dans le processus législatif américain. Plusieurs élus républicains ont admis avoir voté sans comprendre entièrement le contenu du projet de loi.
Marjorie Taylor-Greene, figure controversée du parti républicain, a reconnu avoir manqué une section du texte destinée à réguler l’intelligence artificielle sur les dix prochaines années. Cette découverte tardive l’aurait amenée à voter contre le projet si elle l’avait remarquée à temps. De même, le représentant du Nebraska Mike Flood a admis avoir survolé une partie concernant les juges fédéraux et les ordonnances d’outrage.
Ces aveux soulèvent des questions fondamentales sur la qualité du processus démocratique. Comment des élus peuvent-ils voter sur des mesures d’une telle ampleur sans en maîtriser le contenu ? Cette situation illustre la complexité croissante des textes législatifs et la pression temporelle qui pèse sur les parlementaires.
Les conséquences pour Tesla et l’empire Musk
La position de Musk place ses propres entreprises dans une situation délicate. Ross Gerber a souligné avec ironie que le milliardaire avait soutenu « la fin de tous les avantages pour les véhicules électriques » en appuyant une administration « directement opposée au succès de Tesla« . Cette contradiction apparente révèle la complexité des enjeux pour un homme d’affaires dont les intérêts s’étendent de l’automobile électrique à l’exploration spatiale.
L’investisseur a également pointé du doigt le comportement du conseil d’administration de Tesla, accusé de vendre des actions tout en « profitant de la belle vie » pendant que l’entreprise traverse des turbulences. Cette critique s’inscrit dans un contexte plus large de tensions autour de la gouvernance de Tesla et des rémunérations de ses dirigeants.
L’avenir incertain d’une législation controversée
Le projet de loi a été adopté à la Chambre des représentants par une seule voix, sans aucun soutien démocrate. Cette marge ultra-serrée témoigne des divisions profondes qu’il suscite, même au sein du camp républicain. Le Sénat doit maintenant examiner le texte et pourrait y apporter des modifications substantielles.
Les dirigeants républicains espèrent adopter une version finale début juillet, mais l’opposition croissante de Musk pourrait compliquer cette ambition. Avec sa capacité de mobilisation massive sur les réseaux sociaux, l’homme d’affaires dispose d’un pouvoir d’influence considérable sur l’opinion publique et, par ricochet, sur les élus.
Mike Johnson a tenté de défendre le projet en affirmant qu’il représentait des coupes budgétaires sans précédent et qu’aucun gouvernement de l’histoire n’avait fait autant en une seule législations. Cette rhétorique de l’exceptionnalisme peine cependant à convaincre face aux critiques sur les conséquences sociales du projet.