Résumé :
- La marché de la collecte de fonds s’effondre de 25% en un an
- Des géants comme KissKissBankBank et October sont en difficulté
- La crise immobilière plombe lourdement le secteur
- Une nouvelle réglementation contraignante étrangle les plateformes
- Les experts tablent sur une possible renaissance en 2025-2026
La chute vertigineuse du crowdfunding en chiffres
Le crowdfunding français est en chute libre. Selon les dernières données de Forvis Mazars et France FinTech, la collecte de fonds s’est effondrée de 25% entre le premier semestre 2023 et la même période en 2024. Une dégringolade spectaculaire qui traduit un désintérêt croissant des investisseurs pour ce mode de financement jadis si prometteur.
Concrètement, ce sont 830 millions d’euros qui ont été collectés au premier semestre 2024, contre 1,106 milliard d’euros un an plus tôt. Un recul qui laisse présager des lendemains difficiles pour le secteur. Bertrand Desportes, associé chez Forvis Mazars, ne cache pas son inquiétude : « En 2024, l’ensemble des fonds récoltés ne devrait pas dépasser les deux milliards d’euros, un seuil symbolique franchi au cours des deux dernières années. »
Cette débâcle touche particulièrement le crowdfunding immobilier, locomotive historique du secteur. Représentant 55% des investissements au premier semestre 2024 avec 459 millions d’euros collectés, ce segment souffre de plein fouet de la crise immobilière. « Il y a une crise immobilière d’une ampleur inédite, qui affecte donc logiquement le crowdfunding immobilier », analyse Bertrand Desportes. Un constat qui jette une ombre sur l’avenir de nombreux projets immobiliers dépendant de ce mode de financement.
Les géants du secteur en difficulté
La tempête qui s’abat sur le crowdfunding n’épargne pas les poids lourds du secteur. KissKissBankBank, pionnier français fondé en 2009 et racheté par La Banque Postale en 2017, se retrouve aujourd’hui dans la tourmente. Le 27 septembre 2024, La Banque Postale a annoncé entamer une « réflexion » autour de sa filiale, laissant planer le doute sur son avenir. Un coup dur pour cette plateforme qui revendiquait, début 2023, plus de 27 000 projets financés « grâce à 2,73 millions de citoyens ».
Mais KissKissBankBank n’est pas un cas isolé. October, autre figure emblématique spécialisée dans les prêts aux PME-TPE, a drastiquement réduit son activité en février 2024. « Dans le contexte économique et de taux actuel, il nous est très difficile de maintenir un volume d’origination suffisant pour être financièrement à l’équilibre », expliquait alors la plateforme sur son blog. Une situation qui illustre les difficultés croissantes du secteur à rester compétitif face aux offres bancaires traditionnelles.
Plus dramatique encore, certaines plateformes ont déjà mis la clé sous la porte. C’est le cas d’uTip, qui a cessé son activité en avril 2023, ou encore de Zeste, contrainte de baisser le rideau face à des « exigences réglementaires » devenues insurmontables. Ces fermetures en cascade témoignent de la fragilité d’un écosystème mis à rude épreuve par les bouleversements économiques et réglementaires.
Les raisons de la crise
Mais comment expliquer une telle débâcle ? Plusieurs facteurs se conjuguent pour plonger le crowdfunding dans la tourmente. En premier lieu, la crise immobilière joue un rôle prépondérant. L’effondrement du marché de l’immobilier, secteur clé du financement participatif, a entraîné dans sa chute une large partie de l’écosystème.
Paradoxalement, la période de taux bancaires historiquement bas entre 2016 et 2022 a également porté un coup dur au crowdfunding. Face à des crédits bancaires proches de 1%, les entrepreneurs se sont naturellement tournés vers les banques traditionnelles, délaissant les plateformes de financement participatif.
La réglementation a également joué un rôle dans cette crise. Un nouveau cadre légal, mis en place en 2022 pour se conformer au règlement européen, a considérablement alourdi les contraintes pesant sur les plateformes. « Ce sont des choses lourdes à mettre en place pour des petites plateformes », souligne Florence de Maupeou, directrice générale adjointe chargée du financement participatif de France FinTech. Ces nouvelles exigences ont fragilisé de nombreux acteurs, incapables de s’adapter à temps.
Enfin, le comportement des investisseurs a également évolué. Devenus plus méfiants et exigeants, ils scrutent désormais avec attention chaque projet, analysant en détail les ratios financiers, les garanties contractées ou encore l’emplacement géographique. Cette vigilance accrue, si elle témoigne d’une maturité croissante du marché, complique également la tâche des porteurs de projets en quête de financement.
Quelles perspectives pour l’avenir ?
Face à ce tableau pour le moins sombre, le crowdfunding peut-il encore se réinventer ? Certains experts restent prudemment optimistes. Bertrand Desportes de Forvis Mazars anticipe « une dynamique à la hausse, à compter de 2025 ». Cette projection repose notamment sur l’assainissement du secteur, les projets mis en ligne depuis 2023 ayant été analysés avec des critères plus stricts, intégrant pleinement le contexte de crise.
Le secteur des énergies renouvelables pourrait également jouer un rôle moteur dans cette renaissance. Représentant déjà 15% des investissements au premier semestre 2024, ce segment affiche une progression constante, porté par les enjeux de transition écologique.
Néanmoins, Florence de Maupeou de France FinTech se montre plus prudente, rappelant que la situation dépend largement des politiques publiques. Elle table plutôt sur une reprise en 2026, soulignant la nécessité de sortir définitivement de la période d’incertitudes économiques et financières.