La dernière bataille de Michel-Édouard Leclerc : qui pour reprendre le flambeau du géant français ?

Figure emblématique du géant français de la distribution, Michel-Édouard Leclerc est devenu indissociable de l'enseigne aux 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Alors que ses ambitions politiques se précisent et qu'il facture désormais entre 4 et 5 millions d'euros par an via sa société de conseil, la question que tout le monde se pose mais que personne n'ose aborder frontalement se fait pressante : comment remplacer l'irremplaçable ? Entre un triumvirat méconnu à la tête du groupe, des enfants présents mais tenus à distance, et des stars montantes des réseaux sociaux, l'avenir de ce colosse commercial aux 24,2% de parts de marché semble suspendu à une seule présence médiatique. Plongée au cœur d'un casse-tête entrepreneurial français où le destin d'un homme, d'une marque et peut-être même de la République se joue en coulisses.

Michel-Édouard-Leclerc
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Résumé : 

  • Michel-Edouard Leclerc, figure emblématique du leader français de la distribution, approche de ses 73 ans
  • En 2024, l’enseigne a atteint près de 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 24,2% de parts de marché
  • La gouvernance repose actuellement sur un triumvirat de trois coprésidents inconnus du grand public
  • MEL facture entre 4 et 5 millions d’euros par an pour son rôle de « superconsultant » via sa société
  • L’omniprésence médiatique de Michel-Edouard (1559 mentions sur les chaînes d’info en 2024) pose un problème de succession
  • Quatre Français sur dix voteraient pour lui s’il se présentait à des élections

Un rhume peut parfois en dire long. Quand Michel-Edouard Leclerc a dû annuler sa participation au Bonial Day du 5 décembre dernier pour cause de maladie, personne n’a pu le remplacer. Sans lui, la communication de l’enseigne s’est retrouvée aphone. Cette anecdote révèle le point faible d’un groupe pourtant au sommet : sa dépendance à un seul homme.

Au moment où « MEL » fête ses 73 ans et évoque de plus en plus la politique, la question de sa succession devient incontournable. Le problème n’est pas tant organisationnel – des structures sont en place – mais plutôt médiatique. Comment remplacer celui qui, depuis 45 ans, incarne à lui seul cette entreprise de 50 milliards d’euros ?

L’empire Leclerc : un colosse commercial aux performances record

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2024, Leclerc approche les 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires, avec une croissance de 2,5%. L’enseigne détient désormais 24,2% du marché français de la distribution, gagnant près de deux points en seulement deux ans. Cette progression s’explique notamment par son positionnement des prix, particulièrement attractif en période d’inflation.

Mais Leclerc, c’est bien plus que des supermarchés. Le groupe a diversifié ses activités avec succès :

  • 750 hypermarchés à travers la France
  • 2 900 magasins spécialisés (Le Manège à Bijoux, Espaces culturels…)
  • La première agence de voyages du pays
  • Le premier distributeur de jouets
  • Le troisième libraire français
  • Un poids lourd de la location de voitures

Cette diversification repose sur une formule simple : proposer systématiquement les prix les plus bas. Cette stratégie a également permis à Leclerc de conquérir près de la moitié du marché du drive, devenant le leader incontesté des courses en ligne.

DomainePosition de LeclercPart de marché
Distribution alimentaireN°124,2%
Drive (courses en ligne)N°1Près de 50%
Agences de voyagesN°1Non communiqué
Distribution de jouetsN°1Non communiqué
LibrairiesN°3Non communiqué

Michel-Edouard Leclerc : l’homme qui est devenu une marque

À 73 ans, Michel-Edouard Leclerc (surnommé « MEL ») est indissociable de l’enseigne créée par son père. Sa notoriété, construite sur quatre décennies, fait de lui une figure incontournable. Selon l’Institut national de l’audiovisuel (INA), il a été mentionné 1 559 fois sur les chaînes d’information en continu en 2024. Aucun autre patron français n’atteint ce niveau de présence médiatique.

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Un détail technique en dit long : l’intelligence artificielle utilisée pour comptabiliser ces mentions confond parfois l’homme avec la marque de supermarché. Cette confusion illustre parfaitement ce qui se passe dans l’esprit des Français – pour beaucoup, Leclerc et Michel-Edouard Leclerc sont une seule et même entité.

Cette présence médiatique représente un atout marketing considérable. Dans les années 1990, MEL aurait calculé que ses interventions faisaient économiser à l’enseigne l’équivalent de 50 millions de francs en publicité, soit plus de 7 millions d’euros aujourd’hui.

Son statut a évolué avec le temps. Autrefois salarié de l’Association des centres distributeurs E.Leclerc, il facture désormais ses services via sa société MEL SDC (Stratégie, développement et communication). Selon les estimations, cette activité lui rapporterait entre 4 et 5 millions d’euros par an – plus que les 3,7 millions touchés par Alexandre Bompard, PDG de Carrefour.

Officiellement, son rôle s’est transformé. N’étant plus qu’à la tête du comité stratégique des centres E.Leclerc, il n’a plus de fonction exécutive. Il propose, influence, convainc – mais ne décide plus.

La gouvernance actuelle : un triumvirat méconnu

Pour assurer le fonctionnement quotidien, Leclerc s’appuie sur une structure de gouvernance collégiale. L’Association des centres distributeurs E.Leclerc (ACDLec), principal organe de décision, est dirigée par trois coprésidents :

  • Pascal Baudoin (magasin de Saint-Ouen-l’Aumône)
  • Karine Jaud (magasin de Laval)
  • Philippe Michaud (magasin de Le Neubourg)

Parmi eux, Philippe Michaud occupe une place particulière. Proche de Michel-Edouard, il a longtemps été considéré comme l’un des adhérents les plus influents. Sa nomination comme représentant de Leclerc à la Fédération du commerce et de la distribution a même amené le magazine « Challenges » à le qualifier de « vrai patron » de l’enseigne. Reste que son âge pose question quant à sa capacité à incarner durablement l’avenir du groupe.

En parallèle, Steve Houliez se distingue dans l’organigramme. Membre du bureau assistant le comité stratégique, il est décrit par MEL comme un excellent promoteur de la transformation numérique qui « organise le débat d’idées et la pédagogie« .

Cette organisation suffit-elle à garantir l’avenir ? Certains experts en doutent. Jean-Marc Liduena, directeur général du cabinet Circle Strategy, rappelle que les triumvirats se révèlent souvent inefficaces et sources de conflits internes.

Michel-Edouard Leclerc balaie ces inquiétudes. Pour lui, le rachat de la marque par le réseau au milieu des années 2000 (transaction estimée à 120 millions d’euros) garantit la pérennité de l’enseigne, indépendamment de la présence d’un Leclerc aux commandes.

La succession familiale : le sujet qui fâche

Une succession familiale ne serait-elle pas la solution la plus simple ? Michel-Edouard Leclerc quand on évoque cette possibilité, répond sèchement :

« Mais pourquoi voulez-vous faire dynastie, on est une coopérative »

Pourtant, deux de ses quatre enfants travaillent déjà dans l’univers Leclerc :

  • Audrey, sa fille aînée, au siège dans l’équipe digitale
  • Olivier, salarié du magasin de Saint-Ouen-l’Aumône
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MEL refuse catégoriquement d’aborder ce sujet. Lui qui a tant lutté pour se défaire de l’étiquette de « fils de » ne souhaite visiblement pas imposer ce fardeau à ses propres enfants. Il insiste sur la logique coopérative où :

« c’est celui qui prend les risques et investit qui désigne le responsable, en choisissant soit le plus compétent, soit le plus fédérateur. »

Mais cette position se heurte à une réalité marketing : le nom Leclerc reste un atout commercial considérable. Si la structure peut fonctionner sans un Leclerc aux commandes opérationnelles, peut-elle se passer d’un Leclerc comme porte-parole ?

Les nouveaux visages de Leclerc : des stars des réseaux sociaux

Une piste alternative se dessine avec un duo inattendu : Thomas Cambou, 54 ans, et Noémie Jégou, 24 ans. Ces deux employés de l’hypermarché de Pont-l’Abbé gèrent les réseaux sociaux du magasin avec un succès remarquable. Plusieurs de leurs vidéos ont dépassé les 10 millions de vues.

Ce succès a attiré l’attention de Michel-Edouard Leclerc lui-même, qui a participé à l’une de leurs vidéos. Lors du tournage en magasin, Thomas Cambou raconte que :

« les gens demandaient à faire des selfies avec nous, il en rigolait. » 

Cette anecdote montre un début de transfert de notoriété.

Les atouts de ce duo sont nombreux :

  • Leur ancrage dans le quotidien des magasins
  • Leur maîtrise des codes numériques
  • La complémentarité de leurs profils (intergénérationnel)
  • Leur capacité à créer de l’engagement sur les réseaux sociaux

Plutôt qu’une simple succession, ils pourraient représenter une véritable évolution dans la communication de l’enseigne. Mais remplacer MEL reste un défi énorme.

Les ambitions politiques de MEL : un calendrier qui s’accélère

La question de la succession devient plus pressante face aux ambitions politiques de plus en plus évidentes de Michel-Edouard Leclerc. Ces derniers mois, ses interventions dépassent largement le cadre de la grande distribution.

Un sondage révélateur a montré que près de quatre Français sur dix voteraient pour lui s’il se présentait à des élections. Interrogé sur cette possibilité, sa réponse reste ambiguë : « Je ne dis pas non, jamais. » Avant d’ajouter : « J’ai des velléités de participer au débat politique, à le nourrir. J’ai l’envie d’en être pour pouvoir aider, pour pouvoir contribuer. »

Ces déclarations posent question pour l’avenir de l’enseigne. Un éventuel départ vers la politique forcerait le groupe à accélérer sa transition. Les experts du secteur s’inquiètent qu’on ne puisse bâtir une stratégie à long terme sans aborder clairement la question de la gouvernance.

Le défi est considérable : comment remplacer une personnalité qui a côtoyé 6 présidents de la République et 27 ministres de l’Économie ? Comment maintenir l’influence du groupe sans son porte-parole historique ? La réponse à ces questions déterminera l’avenir du leader français de la distribution.

L’enseigne Leclerc arrive à un moment charnière de son histoire. Si les structures de gouvernance existent sur le papier, la fusion entre l’homme et la marque complique toute succession. Michel-Edouard Leclerc assure que l’entreprise peut fonctionner sans lui, mais la réalité médiatique suggère le contraire.

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