Résumé :
- France, Autriche et Italie veulent transférer le contrôle des grandes entreprises crypto à l’ESMA pour uniformiser la supervision européenne
- Malte s’oppose fermement à cette centralisation, invoquant une bureaucratie inutile et une perte d’efficacité
- Risque de « forum shopping » : les entreprises crypto choisissent les pays aux contrôles les plus laxistes pour obtenir leur licence MiCA puis opèrent dans toute l’UE
- La France menace de bloquer l’accès aux entreprises crypto autorisées dans d’autres États membres si les divergences persistent
- L’examen de l’ESMA révèle que Malte ne répond que « partiellement aux attentes » dans son processus d’autorisation crypto, alimentant le débat
Le contexte : MiCA en application depuis décembre 2024
La réglementation Markets in Crypto-Assets (MiCA), entrée pleinement en vigueur le 30 décembre 2024, représente le cadre réglementaire unifié de l’UE pour les crypto-actifs. Ce système novateur permet aux entreprises crypto autorisées dans un pays membre d’opérer dans les 27 États via un système de « passeport européen ».
Cependant, après seulement quelques mois d’application, des « différences majeures » dans l’interprétation et l’application des règles entre les autorités nationales suscitent l’inquiétude.
La proposition franco-austro-italienne : 4 mesures clés
Le 15 septembre 2025, l’AMF (France), la FMA (Autriche) et la Consob (Italie) ont présenté quatre propositions majeures :
Supervision directe par l’ESMA
Les trois régulateurs demandent que l’ESMA supervise directement les principaux prestataires de services sur crypto-actifs (CASP) pour garantir une application uniforme des règles.
Fermeture des failles réglementaires
Ils veulent empêcher les intermédiaires européens de router des ordres vers des plateformes offshore non soumises à MiCA, laissant les investisseurs sans protection réglementaire.
Audits de cybersécurité obligatoires
Des audits indépendants de cybersécurité seraient requis avant l’octroi ou le renouvellement des licences MiCA, compte tenu du niveau élevé de cyber-risque dans le secteur.
Système centralisé de dépôt
Un système centralisé pour les livres blancs de tokens simplifierait les offres transfrontalières et garantirait la clarté juridique.
L’opposition de Malte : bureaucratie vs efficacité
Malte, considérée historiquement comme une juridiction crypto-friendly, s’oppose vigoureusement à cette centralisation. La Malta Financial Services Authority (MFSA) craint que le transfert de pouvoir à l’ESMA n’ajoute une « bureaucratie inutile » et réduise l’efficacité du système.
Cette opposition intervient alors que Malte fait elle-même face à des critiques. En juillet 2025, un examen par les pairs de l’ESMA a révélé que le processus d’autorisation maltais ne répondait que « partiellement aux attentes », avec plusieurs problèmes importants non résolus lors de l’approbation d’un prestataire de services crypto.
Les enjeux : arbitrage réglementaire et protection des investisseurs
Le risque du « forum shopping »
La principale préoccupation concerne le « forum shopping », la possibilité pour les entreprises crypto de choisir les juridictions aux contrôles les plus laxistes pour obtenir leur licence, puis d’opérer dans toute l’UE grâce au système de passeport.
Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’AMF, avertit que la France pourrait être forcée de bloquer les entreprises crypto autorisées dans d’autres États membres si les divergences réglementaires persistent.
Verena Ross, présidente de l’ESMA, a indiqué qu’elle accueillerait favorablement des pouvoirs de supervision élargis. Toutefois, tout changement nécessiterait un consensus entre les États membres – un objectif qui s’avère difficile à atteindre.
Les chiffres clés
- 27 États membres concernés par le système de passeport MiCA
- 4 entreprises crypto actuellement autorisées à Malte sous MiCA (Bitpanda, Crypto.com, OKX, ZBX)
- 1,2 million de dollars d’amende infligée à OKX par les autorités maltaises en avril 2025
- 18 mois de période transitoire jusqu’en juillet 2026 pour l’harmonisation complète
Ce que cela signifie pour l’industrie crypto
Pour les entreprises crypto opérant en Europe, cette incertitude réglementaire pourrait avoir des conséquences significatives :
- Complexité accrue pour naviguer entre différentes interprétations nationales
- Risque de fragmentation du marché unique européen
- Possibles restrictions d’accès à certains marchés nationaux
- Coûts de conformité potentiellement plus élevés
La résolution de ce débat déterminera si l’Europe maintient son approche décentralisée actuelle ou évolue vers un modèle de supervision plus centralisé, similaire à celui des États-Unis avec la SEC.