Résumé :
- VanEck propose des « BitBonds » : bons du Trésor américain composés à 90% de dette traditionnelle et 10% d’exposition au Bitcoin
- Ce mécanisme vise à réduire le coût du refinancement de la dette américaine de 14 000 milliards de dollars arrivant à échéance d’ici 3 ans
- Les taux d’intérêt pourraient être réduits à 1-2% contre 3-4% pour les bons du Trésor traditionnels
- Le surplus de performance du Bitcoin serait partagé entre l’État et les investisseurs
- Avec une croissance annuelle du Bitcoin de 30%, les gains pourraient atteindre 49% pour les investisseurs et 42% pour le gouvernement
Le monde de la finance publique pourrait bientôt connaître un changement significatif. Les États-Unis, confrontés à une montagne de dettes sans précédent et à des taux d’intérêt qui pèsent lourdement sur le budget fédéral, envisagent une solution inattendue : le Bitcoin. Cette proposition sérieuse vient de VanEck, un gestionnaire d’actifs reconnu dans l’univers des investissements alternatifs.
L’idée combine la sécurité traditionnelle des bons du Trésor américain avec le potentiel de croissance du Bitcoin. Ce concept pourrait non seulement modifier la gestion de la dette publique, mais aussi intégrer les actifs numériques au cœur de l’économie mondiale, avec des conséquences considérables pour les investisseurs comme pour les gouvernements.
Une proposition audacieuse pour transformer la dette américaine
C’est lors du Strategic Bitcoin Reserve Summit 2025 que Matthew Sigel, responsable de la recherche sur les actifs numériques chez VanEck, a présenté les « BitBonds ». Durant une session dédiée à l’impact potentiel du Bitcoin sur la dette nationale américaine, le chercheur a exposé sa vision d’un instrument financier hybride associant dette souveraine et cryptomonnaie.
Le concept est simple : créer des bons du Trésor composés à 90% de dette américaine traditionnelle et à 10% d’exposition au Bitcoin. Ce produit arrive à point nommé, alors que le gouvernement américain doit refinancer une dette de 14 000 milliards de dollars dans les trois prochaines années, dans un contexte de taux élevés.
L’originalité de cette proposition tient à son pragmatisme. Elle suggère d’intégrer partiellement le Bitcoin dans les outils financiers de l’État, transformant un actif souvent critiqué pour sa volatilité en instrument stratégique de gestion de la dette publique.
Les bons du Trésor représentent depuis longtemps le placement refuge par excellence, mais leur attrait s’est érodé ces dernières années face à l’inflation galopante et aux alternatives d’investissement. Les BitBonds pourraient raviver l’intérêt des investisseurs tout en ouvrant une nouvelle voie pour les finances publiques américaines, prises en étau entre déficits croissants et coûts d’emprunt en hausse.
Le mécanisme financier et son fonctionnement
Le fonctionnement des BitBonds repose sur un équilibre entre sécurité et performance potentielle. Prenons un exemple concret :
Pour un investissement de 100$ sur 10 ans :
- 90$ placés en obligations d’État classiques
- 10$ alloués à l’achat de Bitcoin
- À l’échéance : récupération garantie des 90$ initiaux
- Valeur des 10$ en Bitcoin restituée (plafonnée à 4,5% de rendement annuel)
- Partage équitable du surplus de gains entre investisseur et État
Ce système crée une relation nouvelle entre les créanciers et le gouvernement. Contrairement aux obligations classiques où l’État verse un intérêt fixe quelle que soit sa santé économique, les BitBonds permettraient à l’État de bénéficier directement d’une hausse du Bitcoin, tout en offrant aux investisseurs une sécurité minimale.
Les détails techniques révèlent toute l’ingéniosité du mécanisme. Les bons du Trésor sont des titres de créance émis par le gouvernement aux investisseurs qui prêtent de l’argent en échange de paiements futurs à un taux d’intérêt fixe. Avec les BitBonds, cette structure fondamentale est préservée, mais enrichie par la composante Bitcoin qui agit comme un amplificateur de rendement potentiel.
Pour l’investisseur, le risque est calibré précisément : la majeure partie du capital (90%) demeure protégée par la solidité du crédit américain, tandis que seule une fraction limitée (10%) s’expose aux fluctuations du marché des cryptomonnaies. Cette proportion a été soigneusement calculée pour maximiser l’effet de levier positif tout en maintenant un profil de risque acceptable pour les investisseurs institutionnels traditionnellement conservateurs.
100 milliards de dollars : le premier test grandeur nature
Les analyses de VanEck tablent sur une émission potentielle de 100 milliards de dollars de BitBonds. Cette somme, bien que conséquente, ne représenterait qu’une fraction de la dette américaine totale, limitant les risques tout en testant l’efficacité de cet instrument.
Tableau comparatif des scénarios selon la performance du Bitcoin :
Performance du Bitcoin | Taux d’intérêt possible | Gains pour l’investisseur | Gains pour l’État |
0% à 10% | 1% à 2% | Minimal | Financement à bas coût |
15% | Équivalent aux bons traditionnels | Modéré | Équivalent aux bons traditionnels |
30% (moyenne historique) | Très compétitif | 49% | 42% |
Les calculs montrent qu’avec une croissance annuelle moyenne de 30% du Bitcoin – un chiffre ambitieux mais pas irréaliste vu les performances passées – les rendements dépasseraient largement ceux des instruments financiers traditionnels.
L’impact macroéconomique pourrait s’avérer considérable. Pour le Trésor américain, l’économie réalisée sur les taux d’intérêt représenterait potentiellement plusieurs dizaines de milliards de dollars par an, allégeant significativement le fardeau du service de la dette qui pèse de plus en plus lourd dans le budget fédéral.
D’un point de vue plus large, cette initiative pourrait constituer un premier pas vers une reconnaissance institutionnelle des cryptomonnaies comme classe d’actifs légitimes pour les réserves souveraines. Si les États-Unis, première puissance économique mondiale, intégraient même partiellement le Bitcoin dans leur stratégie de financement, l’effet d’entraînement sur d’autres nations pourrait être substantiel.
Les analyses de Matthew Sigel suggèrent également que cette approche pourrait contribuer à stabiliser le marché du Bitcoin lui-même. L’achat régulier et prévisible de grandes quantités de BTC par le biais des BitBonds créerait un plancher de demande structurelle, potentiellement capable d’atténuer la volatilité extrême qui caractérise habituellement cet actif.
Le double dividende pour les finances publiques
Pour le gouvernement américain, les BitBonds offrent plusieurs avantages stratégiques :
- Réduction des coûts de la dette : En émettant des obligations à taux réduits (1-2% contre 3-4% habituellement), l’économie potentielle se chiffrerait en dizaines de milliards de dollars.
- Double bénéfice : Comme le souligne Matthew Sigel, « la hausse du BTC ne fait qu’adoucir l’affaire ». Même si le Bitcoin stagnait, le gouvernement bénéficierait d’un financement moins cher. En cas de hausse, il obtiendrait une exposition au Bitcoin sans achat direct.
- Diversification des stratégies : Cette approche permettrait aux États-Unis d’adapter leurs méthodes de financement dans un contexte d’incertitude économique mondiale, tout en maintenant leur position financière dominante.
Le timing de cette proposition semble particulièrement pertinent. Le gouvernement américain fait face à un triple défi : des taux d’intérêt élevés qui alourdissent le coût de refinancement de sa dette, une pression politique constante pour réduire les déficits, et la nécessité de préserver l’attrait des bons du Trésor face à la concurrence croissante d’autres placements.
Les BitBonds apporteraient une réponse simultanée à ces trois problématiques. Ils permettraient d’abord de réduire mécaniquement le coût apparent du service de la dette, offrant ainsi une marge de manœuvre budgétaire sans augmentation d’impôts ni coupes dans les dépenses. Ensuite, ils redonneraient de l’attrait aux bons du Trésor, attisant la demande et facilitant ainsi le placement des énormes volumes d’obligations nécessaires au refinancement de la dette existante.
Enfin, sur le plan géopolitique, cette initiative pourrait renforcer le leadership américain dans le domaine des technologies financières, contrant les efforts de certaines puissances rivales visant à réduire la dépendance au dollar dans les échanges internationaux.
L’offre qui réconcilie les prudents et les audacieux
Du côté des investisseurs, les BitBonds représentent une proposition attrayante pour plusieurs raisons :
- Sécurité avec potentiel de croissance : Combinaison unique de la stabilité des bons du Trésor et du potentiel du Bitcoin
- Accès facilité au marché crypto : Solution idéale pour les investisseurs institutionnels hésitant à s’exposer directement aux cryptomonnaies
- Protection contre l’inflation : Face à une inflation persistante, l’exposition partielle au Bitcoin pourrait améliorer les rendements réels
Les calculs de VanEck indiquent qu’avec des coupons à 1%, le Bitcoin devrait progresser de 16,60% par an pour que l’investissement soit vraiment rentable. Considérant les performances passées du Bitcoin sur des périodes de 10 ans, ce seuil semble atteignable, offrant aux investisseurs des perspectives de gains conséquents tout en limitant les risques.
Cette caractéristique s’avère particulièrement séduisante pour les fonds de pension et autres investisseurs institutionnels, constamment à la recherche de rendements décents dans un environnement financier difficile. Les BitBonds leur permettraient d’exposer une portion contrôlée de leur portefeuille au Bitcoin, sans devoir affronter les complexités réglementaires, techniques et sécuritaires liées à la détention directe de cryptomonnaies.
Pour les investisseurs privés également, ce véhicule d’investissement présenterait des avantages considérables. Il leur offrirait une façon sécurisée de diversifier leur patrimoine, avec une exposition partielle au potentiel de croissance du Bitcoin, tout en bénéficiant de la liquidité et de la facilité d’accès caractéristiques des bons du Trésor américain.
Par ailleurs, dans un contexte où de nombreux analystes s’inquiètent de la dette américaine et de la solidité à long terme du dollar, les BitBonds représenteraient une forme de couverture naturelle : si les craintes relatives à la monnaie fiduciaire se matérialisaient, la composante Bitcoin de ces obligations verrait probablement sa valeur s’apprécier, compensant partiellement les pertes potentielles sur la partie classique.
La structure même du produit, avec son système de partage des gains excédentaires, créerait également un alignement d’intérêts rare entre créanciers et débiteur. Les investisseurs se retrouveraient dans la position inhabituelle de souhaiter non seulement la bonne santé financière de l’État emprunteur, mais aussi le succès d’une classe d’actifs alternative – le Bitcoin – généralement perçue comme concurrente des monnaies souveraines.
Les réticences à surmonter : politique, technique et culturelle
Malgré ses avantages évidents, la mise en œuvre des BitBonds devrait surmonter plusieurs obstacles. Sur le plan réglementaire d’abord, l’intégration du Bitcoin dans un instrument de dette souveraine américaine nécessiterait des ajustements législatifs significatifs. Le Congrès et les autorités de régulation financière devraient approuver cette approche novatrice, ce qui pourrait susciter des débats politiques complexes.
La gestion technique de ces obligations hybrides soulèverait également des questions pratiques. Comment le Trésor américain acquérait-il et conserverait-il les Bitcoins correspondant à sa part des émissions ? Quels mécanismes seraient mis en place pour assurer la transparence et la sécurité de ces opérations ?
Sur le plan de la perception du marché, l’association du crédit souverain américain avec le Bitcoin pourrait susciter des réactions contrastées. Certains observateurs traditionnels pourraient y voir une forme de validation du Bitcoin et des cryptomonnaies en général, tandis que d’autres pourraient interpréter cette démarche comme un signe de faiblesse ou de désespoir face à une dette devenue ingérable.
Néanmoins, Matthew Sigel estime que ces défis ne sont pas insurmontables. Il souligne notamment que les États-Unis ont toujours su faire preuve d’adaptabilité et d’esprit pionnier dans leur histoire financière. L’introduction des BitBonds s’inscrirait dans cette tradition d’expérimentation pragmatique face aux défis économiques.
Les BitBonds représentent une approche audacieuse mais réfléchie pour résoudre l’un des problèmes économiques les plus pressants auxquels font face les États-Unis. En tirant parti du potentiel de croissance du Bitcoin tout en préservant la structure fondamentale des bons du Trésor, cette innovation pourrait transformer la relation entre l’État et ses créanciers.
Pour le gouvernement américain, les BitBonds offriraient un moyen de réduire le coût du service de la dette tout en développant progressivement une exposition stratégique au Bitcoin. Pour les investisseurs, ils constitueraient un véhicule d’investissement unique, alliant sécurité et potentiel de rendement élevé.