Résumé :
- Le dollar au marché noir a franchi la barre des 100 bolivares, soit 50% au-dessus du taux officiel de 69,5 bolivares
- La révocation de la licence de Chevron par Donald Trump, effective le 27 mai, menace 25% de la production pétrolière du pays
- Les commerçants, contraints d’utiliser le taux officiel, subissent d’importantes pertes économiques
- La demande de dollars a augmenté de 40% alors que les Vénézuéliens cherchent une valeur refuge
- L’inflation interannuelle est estimée à 117% selon des sources indépendantes
Le Venezuela traverse une nouvelle zone de turbulences économiques qui ravive les souvenirs des heures les plus sombres de sa récente histoire. Tandis que le pays tentait de se relever après sept années de récession catastrophique entre 2013 et 2020, période durant laquelle son PIB s’est effondré de 80%, le spectre de l’hyperinflation resurgit brutalement. La cause principale : l’envolée spectaculaire du cours du dollar au marché noir, qui creuse un fossé inquiétant avec le taux officiel imposé par les autorités.
Pour les millions de Vénézuéliens qui avaient espéré un retour à la stabilité économique, cette nouvelle crise frappe comme un coup de massue. Déjà épuisés par des années de privations et d’instabilité monétaire, ils assistent impuissants à l’érosion accélérée de leur pouvoir d’achat. Les files d’attente s’allongent devant les bureaux de change, tandis que les prix des produits de première nécessité grimpent quotidiennement dans les supermarchés. Cette situation précaire réveille les craintes d’un nouvel exode massif, alors que plus de 7 millions de Vénézuéliens ont déjà quitté leur pays ces dernières années.
L’écart grandissant entre le dollar officiel et le dollar noir
La situation économique au Venezuela s’aggrave rapidement avec un écart qui s’élargit entre le taux de change officiel et celui du marché noir. Cette semaine, le « dollar noir » a franchi la barre symbolique des 100 bolivares, tandis que le taux officiel demeure à 69,5 bolivares. Cette différence de près de 50% révèle une défiance grandissante envers la monnaie nationale et les politiques économiques gouvernementales.
L’écart entre les deux taux s’est amplifié dès le second semestre 2024, mais la situation s’est détériorée ces dernières semaines. Par conséquent, cette distorsion du marché des changes pèse lourdement sur les prix à la consommation, d’autant plus que les commerçants doivent légalement utiliser le taux officiel sous peine de sanctions sévères, allant de l’amende à la fermeture de leurs établissements.
Pour les commerçants comme pour les consommateurs, cette flambée du dollar déclenche une hausse généralisée des prix qui affecte tous les secteurs de l’économie. Produits alimentaires, transports, services essentiels – aucun domaine n’échappe à cette spirale inflationniste qui rend le quotidien de plus en plus insoutenable pour la population. Ce sentiment d’impuissance face à l’inflation rappelle la période dévastatrice qu’a connue le pays entre 2018 et 2021, avec un pic à 130.000% la première année – un traumatisme économique encore vif dans la mémoire des Vénézuéliens.
Les sanctions américaines contre Chevron : un coup fatal pour l’économie vénézuélienne
La décision du président américain Donald Trump de révoquer la licence accordée au géant pétrolier Chevron pour opérer au Venezuela apparaît comme le catalyseur de cette nouvelle crise. Bien que cette mesure ne s’applique officiellement que le 27 mai prochain, ses effets bouleversent déjà l’économie vénézuélienne, signalant une anticipation des marchés et un effondrement de la confiance.
Les retombées de cette sanction s’annoncent considérables puisque Chevron représente environ 25% de la production pétrolière du pays, actuellement estimée à 900.000 barils par jour selon le cabinet Aristimuño Herrera & Asociados. Plus préoccupant encore, l’entreprise américaine constitue l’un des principaux fournisseurs de devises dans le secteur bancaire vénézuélien.
D’après César Aristimuño, expert économique, l’annonce du départ de Chevron a déclenché une ruée vers le dollar, perçu comme une valeur refuge face à l’instabilité du bolivar. Résultat immédiat : la demande surpasse désormais largement l’offre, créant un « effet Chevron » particulièrement déstabilisant.
Cette situation inquiète d’autant plus que l’État vénézuélien a déjà injecté près de cinq milliards de dollars sur les marchés en 2024 pour tenter de soutenir sa monnaie nationale. Un effort que le départ forcé de Chevron et la perte des devises associées risquent de compromettre.
Entre dollarisation et contrôle étatique : le dilemme vénézuélien
Face à cette situation complexe, le gouvernement de Nicolas Maduro se retrouve dans une position délicate. Après avoir longtemps combattu le dollar américain, qualifié de monnaie des « gringos », le président vénézuélien a dû autoriser sa circulation dans l’économie nationale pour juguler l’hyperinflation et les pénuries qui asphyxiaient le pays.
Cette dollarisation informelle avait permis au Venezuela d’amorcer une sortie progressive de la récession. Désormais, Maduro affronte une nouvelle offensive qu’il qualifie de « guerre économique » orchestrée par Washington. Lors d’une récente intervention télévisée, il a reconnu que la demande de dollars sur le marché formel avait bondi de 40%.
Pendant ce temps, les commerçants vénézuéliens se retrouvent piégés dans un étau économique. Contraints par la loi d’accepter les paiements en bolivars au taux officiel, ils accumulent des pertes substantielles lorsqu’ils doivent se réapprovisionner en marchandises dont les prix suivent, eux, le cours du dollar noir. La société d’analyse Albusdata souligne que l’ajustement des prix en dollars pourrait s’avérer insuffisant pour compenser ces pertes.
Pour de nombreux commerçants, le dilemme est intenable. Accepter ou facturer au taux parallèle représente un risque majeur face aux autorités, tandis que respecter le taux officiel garantit des pertes financières. Certains en viennent à préférer rompre leurs relations avec leurs fournisseurs ou même abandonner complètement leur activité plutôt que de naviguer dans ces eaux troubles. Cette situation précaire pourrait déclencher une nouvelle vague de fermetures de commerces et aggraver davantage le marasme économique déjà profond.
Simultanément, l’inflation poursuit sa progression alarmante. Malgré l’absence de publications officielles de la Banque centrale vénézuélienne depuis octobre dernier, des estimations indépendantes évaluent l’indice interannuel à 117% jusqu’en février, un niveau qui évoque dangereusement les prémices de la crise précédente.
La population subit frontalement cette instabilité économique. Si les détenteurs de dollars peuvent théoriquement obtenir plus de bolivars qu’auparavant, ils font néanmoins face à une flambée généralisée des prix qui érode drastiquement leur pouvoir d’achat réel.