Résumé :
- La prime de risque de la dette française a bondi de 55 à 80 points de base en un an
- Les agences de notation Fitch et Moody’s vont réévaluer la dette française en octobre
- La France est désormais plus chère à financer que l’Espagne ou le Portugal
- Les investisseurs s’attendent à un changement de perspective négatif des agences
- La note française reste « investment grade » mais perd son statut privilégié
Le déclassement progressif de la dette française
Le thermomètre de la confiance des investisseurs ne ment pas. En l’espace d’un an, la prime de risque de la dette française par rapport à l’Allemagne est passée de 55 à 70-80 points de base. Cette hausse, bien que progressive, témoigne d’une méfiance grandissante des marchés envers la capacité de la France à honorer ses engagements financiers.
Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM, souligne l’inquiétude croissante : « Nous assistons à une hausse durable mais silencieuse de la prime de risque de la France« . Ce signal, bien que discret, n’en est pas moins alarmant pour les observateurs avertis.
Le déclassement de la France sur l’échiquier financier européen est désormais flagrant. L’Hexagone se retrouve dans une situation paradoxale : son coût d’emprunt est désormais supérieur à celui de pays auparavant considérés comme plus risqués. Il est désormais plus cher que l’Espagne, le Portugal ou l’Irlande.
Cette situation inédite marque la fin d’une époque où la France bénéficiait d’un traitement de faveur sur les marchés. Xavier Chapard, stratégiste chez LBP AM, confirme ce changement de paradigme : « La dette française a toujours été mieux considérée que les dettes d’autres pays à notation équivalente dans la zone euro. Ce n’est plus forcément le cas aujourd’hui ».
Les agences de notation sur le qui-vive
Les regards sont désormais tournés vers les prochaines évaluations des agences de notation, qui pourraient bien sonner le glas du statut privilégié de la dette française. Fitch doit se prononcer ce vendredi, tandis que Moody’s rendra son verdict le 25 octobre. Ces échéances sont d’autant plus cruciales que Moody’s est la seule agence à n’avoir pas encore dégradé la note de la France ces deux dernières années. Les analystes s’attendent à un durcissement de ton de la part des agences
Bien que les marchés aient déjà largement intégré une dégradation de la note française, un changement de perspective pourrait avoir des répercussions non négligeables. Catherine Gerst, professeur de finance à Paris-Saclay et ancienne patronne de Moody’s France, met en garde : « C’est toujours un signal inquiétant, les marchés n’aiment pas et cela peut effrayer quelques grands investisseurs« .
Toutefois, Xavier Chapard tempère : « Les agences de notation ont moins d’influence sur la dette souveraine que pour la dette d’entreprise. L’opinion d’une agence ne fait finalement que valider une situation dégradée (ou améliorée), déjà intégrée par le marché« . Néanmoins, ce changement de statut pourrait avoir des conséquences indirectes, notamment sur les émetteurs privés français.
🇫🇷 La France est dans le viseur des agences de notation
— Le média de l'investisseur (@le_investisseur) October 10, 2024
La France est clairement menacée par une crise financière et avec une dette aussi importante, la note devrait être salée.
Dès vendredi, Fitch se penchera sur le cas de notre pays et Moody's dès le 25 octobre. pic.twitter.com/8VCdHXM7MY
L’impact sur les marchés et les investisseurs
Les investisseurs étrangers, traditionnellement friands de dette française, commencent à montrer des signes de nervosité. Un événement a particulièrement marqué les esprits : la vente massive de dette française par les investisseurs japonais en juillet dernier.
Ce mouvement de défiance n’est pas anodin. Les investisseurs japonais sont réputés pour leur prudence et leur vision à long terme. Leur retrait partiel du marché de la dette française est un signal fort qui pourrait inciter d’autres acteurs internationaux à revoir leur exposition.
Les acteurs domestiques ne sont pas en reste. Gaël Moreau, responsable de la gestion d’actifs chez l’assureur MAIF, témoigne de cette prudence accrue : « Le sujet de notre exposition à la dette émise par l’État Français est revenu au centre de nos préoccupations en début d’année 2024 en anticipation de la dégradation de la note par S&P ».
Toutefois, la MAIF, comme d’autres investisseurs institutionnels français, n’a pas complètement tourné le dos à la dette nationale. Après une pause, ils sont revenus sur le marché, attirés par l’élargissement du spread. Cette attitude illustre le dilemme auquel font face de nombreux investisseurs : arbitrer entre rendement et sécurité.
Les implications pour l’économie française
La dégradation potentielle de la note souveraine française n’affecterait pas que l’État. Comme le souligne Gaël Moreau :
« Ce n’est pas tant la dette française qui suscite notre inquiétude que les effets collatéraux d’une éventuelle dégradation sur les émetteurs privés qui sont liés à la note souveraine ».
Les banques françaises, gros émetteurs sur le marché obligataire, pourraient être particulièrement touchées. D’autres secteurs, comme les services aux collectivités, risquent également de voir leur coût de financement augmenter. C’est tout un pan de l’économie française qui pourrait ainsi être pénalisé.
Malgré ces vents contraires, tout n’est pas noir pour la dette française. Paradoxalement, le taux effectif payé par la France est aujourd’hui inférieur à ce qu’il était il y a un an. Cette situation s’explique par le contexte monétaire global, marqué par les politiques accommodantes des banques centrales.
Gaël Moreau reste optimiste : « Le spread France-Allemagne peut s’élargir mais la dette française sera quand même embarquée par la baisse des taux de la Banque centrale européenne ». Ainsi, le taux français devrait progressivement passer sous la barre des 3%, même s’il le fait moins rapidement que d’autres pays européens.