Depuis l’élection choc de janvier 2024 de Javier Milei, économiste ultralibéral iconoclaste, le pays a entamé une transformation radicale aussi rapide que brutale. Après des décennies de stagnation, Milei a promis de dynamiter le modèle social argentin pour redonner au marché son pouvoir suprême. Les premiers effets de sa célèbre thérapie de choc se font déjà sentir, mais les avis divergent : certains crient au miracle, d’autres redoutent un désastre annoncé. Alors, pari gagnant ou saut dans le vide ?
Résumé :
- Depuis janvier 2024, Javier Milei a engagé une transformation radicale de l’économie argentine.
- Il a mis en œuvre des mesures inspirées des théories ultralibérales, incluant une réduction drastique des dépenses publiques, ainsi que des dérégulations et privatisations massives.
- Après 5 mois, le pays présente un ralentissement de l’inflation et une amélioration des finances publiques, mais aussi une explosion de la pauvreté et des inégalités.
- Un premier bilan en demi-teinte qui pose la question de la soutenabilité à long terme de cette stratégie risquée.
L’élection présidentielle de janvier 2024 en Argentine a été un véritable séisme politique. Javier Milei, un économiste au profil atypique, a déjoué tous les pronostics en remportant la présidence avec 56% des voix. Sa promesse de campagne ? Une cure ultralibérale radicale, visant à démanteler des décennies d’interventionnisme qu’il accuse d’avoir ruiné le pays.
Dès son investiture, « El Loco » a mis en œuvre sa thérapie de choc : un ensemble de réformes économiques aussi rigoureuses que controversées, avec un objectif précis : restaurer la puissance du marché pour relancer la prospérité nationale. Cependant, après quelques mois, les résultats de cette politique sont loin d’être unanimes.
Après cinq mois de mandat, quel bilan peut-on tirer de cette expérience audacieuse ? C’est ce que nous allons analyser en détail.
Le pari risqué de la thérapie de choc ultralibérale
Pour « soigner l’Argentine par le marché », Javier Milei commence par sabrer dans les dépenses publiques. Objectif : réduire le déficit budgétaire à zéro dès 2024. Pour cela, il annonce des coupes de 20 milliards de dollars, soit 5% du PIB. C’est un changement de paradigme pour un pays habitué à un État fort et dépensier. Les subventions sont supprimées, les ministères dégraissés par paquets de 10, les grands travaux gelés.
Dans le même temps, Milei engage une vaste dérégulation de pans entiers de l’économie. En quelques semaines, près de 1000 mesures sont prises pour libéraliser le commerce et la finance. Le code du travail est assoupli, les protections environnementales allégées. Pour le nouveau président, il faut « casser les chaînes qui entravent le libre fonctionnement du marché. »
Enfin, l’autre pilier de la “Méthode Milei” est un programme massif de privatisations. Une quarantaine de fleurons nationaux, dont la compagnie pétrolière et la compagnie aérienne, sont mis sur le marché. L’objectif est d’attirer les investisseurs étrangers et renflouer les caisses. C’est un virage à 180° pour un pays marqué par le nationalisme économique.
Beaucoup s’inquiètent de l’impact social de cures d’austérité d’une telle violence. Le prix à payer ne sera-t-il pas trop lourd pour une population déjà durement endettée ? D’autres doutent de l’efficacité réelle de ces recettes ultralibérales qui ont déjà montré leurs limites ailleurs. Cette approche radicale n’est pas sans rappeler l’expérience chilienne des années 1970-1980, sous la dictature de Pinochet.
Inspiré par les « Chicago Boys », disciples de Milton Friedman, le Chili avait alors mis en place une thérapie de choc similaire. Privatisations massives, dérégulation du marché du travail, réduction drastique des dépenses publiques : le pays andin était devenu le laboratoire du néolibéralisme. Si cette politique a permis au Chili de devenir « le jaguar de l’Amérique latine » avec une croissance enviable, elle a aussi creusé durablement les inégalités.
Aujourd’hui encore, le pays en paie le prix social et politique. Milei, fervent admirateur de cette expérience chilienne, semble vouloir la reproduire en Argentine. Mais dans un contexte démocratique et sans le soutien d’une dictature, pourra-t-il aller aussi loin et tenir aussi longtemps face aux inévitables contestations sociales ?
Premiers résultats mitigés après 5 mois
Après 5 mois de thérapie de choc, les premiers effets commencent à se faire sentir. Et le bilan apparaît pour le moins contrasté. Certains indicateurs se redressent mais au prix d’un lourd tribut social et politique.
Du côté des bonnes nouvelles, l’inflation semble enfin ralentir. Après un pic à 276% en février, elle retombe à 133% en mars. Les marchés financiers réagissent bien, rassurés par la rigueur budgétaire de Javier Milei. Pour la première fois depuis des années, l’Argentine enregistre un excédent budgétaire en mars. Les réserves de change, qui avaient fondu de moitié en 2023, se reconstituent doucement même si le peso continue de reculer.
Mais ces progrès restent fragiles et ont un coût humain considérable. Avec la fin des subventions et la libération des prix, le pouvoir d’achat s’effondre. En deux mois, 2,5 millions d’Argentins ont basculé dans la pauvreté, portant le taux à un record de 57%. Les inégalités explosent, la précarité s’étend, les tensions sociales s’aiguisent. Des pénuries apparaissent, faute d’importations. Ce « génocide social », dénoncé par l’opposition, mine la popularité de Milei.
Cinq mois après le début de cette expérience inédite, le paysage économique argentin a profondément changé. Dans un pays meurtri par les crises à répétition, les espoirs d’un renouveau libéral étaient immenses. Mais les premiers résultats sont loin d’être aussi miraculeusement que promis. Si quelques indicateurs s’améliorent, c’est au prix d’un choc social majeur qui hypothèque la cohésion du pays. La thérapie de Javier Milei tiendra-t-elle ses promesses ou aggravera-t-elle les maux argentins ? Il faudra encore attendre pour en avoir le coeur net, mais comptez sur nous vous tenir au courant du prochain épisode.