Résumé :
- Une alliance entre blanchisseurs chinois et cartels mexicains révolutionne le blanchiment d’argent du trafic.
- Les réseaux utilisent des systèmes bancaires souterrains et des transferts miroirs pour blanchir les profits du fentanyl.
- La crise du fentanyl aux États-Unis s’aggrave à cause de cette nouvelle forme de blanchiment.
- Les autorités font face à des défis sans précédent pour lutter contre ces réseaux internationaux.
La crise du fentanyl qui frappe les États-Unis a pris une dimension inattendue ces dernières années. Au-delà de son bilan humain catastrophique (plus de 80 000 morts par an selon le CDC), elle révèle une mutation profonde du crime organisé international. En effet, une alliance inédite entre blanchisseurs d’argent chinois et cartels de drogue mexicains a vu le jour, révolutionnant les méthodes de blanchiment et amplifiant les ravages causés par ce puissant opioïde.
Cette collaboration d’un nouveau genre, mêlant expertise financière chinoise et réseaux de distribution mexicains, défie les autorités du monde entier. Elle soulève des questions cruciales sur l’évolution du crime organisé à l’ère de la mondialisation et de la technologie. Plongeons au cœur de ce phénomène qui redéfinit les contours du trafic de drogue international et du blanchiment d’argent.
L’émergence d’une nouvelle menace
Ray Donovan, ancien chef des opérations de la Drug Enforcement Administration (DEA), se souvient encore du moment où il a pris conscience de l’ampleur du problème. « En 2017 et 2018, quelque chose de significatif s’est produit« , explique-t-il. « Soudainement, les courtiers d’argent chinois ont commencé à contrôler le blanchiment des profits des cartels mexicains, et ils le faisaient pour des frais de 1 à 2%, des tarifs jusqu’alors inédits. »
Ce constat a marqué un tournant dans la lutte contre le trafic de drogue. Les méthodes traditionnelles de blanchiment, que les autorités avaient appris à combattre au fil des décennies, laissaient place à un système beaucoup plus sophistiqué et difficile à tracer. Les camions remplis d’espèces traversant la frontière étaient remplacés par des transferts électroniques invisibles, orchestrés depuis l’autre côté du Pacifique.
L’art du transfert invisible
Au cœur de cette révolution se trouve le système bancaire souterrain chinois, dont les racines remontent aux années 1990. Alors que la Chine s’ouvrait économiquement, un réseau parallèle s’est développé pour répondre aux besoins des entreprises chinoises opérant à l’étranger. Ce système, baptisé « système informel de transfert de valeur » (IVTS) par l’Agence nationale contre le crime au Royaume-Uni, repose sur un principe simple mais redoutablement efficace : le transfert miroir.
« Une personne arrive avec un sac d’argent en espèces, le dépose dans une banque souterraine, et grâce à ce transfert miroir, une autre personne retire le même montant d’une autre branche du même réseau bancaire souterrain », explique un expert en finance illicite. « L’élément crucial est qu’aucun argent n’a réellement été transféré. C’est totalement invisible pour les autorités qui voudraient s’y attaquer. »
Cette méthode, couplée à l’utilisation massive de l’application de messagerie WeChat pour coordonner les opérations, a permis aux réseaux chinois de blanchiment d’atteindre une efficacité sans précédent. Les Triades, ces organisations criminelles chinoises historiques, ont joué un rôle clé dans le développement de ces réseaux, mettant à profit leur expérience et leurs connexions internationales.
Opération Sleeping Giant : plongée dans l’océan du blanchiment
L’échelle de ces opérations est véritablement mondiale. Des États-Unis à l’Europe, en passant par l’Afrique, partout où se trouve une diaspora chinoise importante et des projets d’infrastructure chinois, ces réseaux de blanchiment ont pris racine. Leur capacité à déplacer des sommes colossales en un temps record a révolutionné le monde du crime organisé.
L’affaire Xizhi Li, mise au jour par l’opération « Sleeping Giant » de la DEA, illustre parfaitement cette sophistication. Li, qui a récemment plaidé coupable devant un tribunal américain, dirigeait une organisation tentaculaire. Il avait établi un casino en Amérique centrale, entretenait des liens étroits avec les Triades en Chine continentale, et disposait d’un réseau sophistiqué aux États-Unis pour collecter les fonds.
Le manque d’agents parlant mandarin au sein de la DEA a compliqué considérablement les enquêtes. « C’est un défi d’obtenir des personnes avec de bonnes compétences en mandarin et une connaissance de la culture chinoise », admet un responsable de l’agence.
Quand l’efficacité financière se mesure en vies humaines
L’impact de cette alliance entre blanchisseurs chinois et cartels mexicains sur le trafic de drogue est considérable. Grâce à ces nouvelles méthodes de blanchiment ultra-efficaces, les cartels mexicains ont vu leurs profits nets augmenter de 3 à 5%. Cette manne financière supplémentaire a directement alimenté la production et la distribution de fentanyl, aggravant une crise déjà dramatique aux États-Unis.

« Les overdoses de fentanyl sont devenues la principale cause de décès chez les moins de 50 ans aux États-Unis », rappelle un expert en santé publique. « Cette crise est directement alimentée par la sophistication croissante des réseaux criminels internationaux. »
En 25 ans, on estime à plus de 700 000 le nombre de décès causés par une overdose de fentanyl.
Quand les pays du monde se liguent contre le trafic
Face à cette menace d’un nouveau genre, les autorités tentent de s’adapter. La coopération entre les États-Unis et la Chine sur ce sujet, interrompue en 2019, a récemment repris. « Nous avons très rapidement évolué vers un mode où le ministère de la Sécurité publique en Chine et d’autres organisations semblent coopérer assez étroitement pour commencer à essayer de fermer le robinet du fentanyl en provenance de Chine », explique Dennis Wilder, ancien haut responsable de la CIA.
Au Royaume-Uni, l’Agence nationale contre le crime a mis en place des unités spécialisées pour lutter contre ces réseaux. « Nous voyons cela comme une menace croissante pour le Royaume-Uni et dans le monde entier », affirme un responsable de l’agence. « Ces réseaux utilisent souvent des ‘mules financières’ et des comptes bancaires multiples pour intégrer l’argent dans le système financier légitime. C’est un défi constant. »